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(>82                      CHRONIQUE POLITIQUE.

 proscrit dans le temps où nous sommes. Il signifie faiblesse, tran-
 saction, conciliation. Or, le mot d'ordre actuel, c'est la guerre, la
 guerre à outrance, la guerre impitoyable.
    — Le 10 mai, le général Castellanne a fait son entrée à Lyon, entrée
 solennelle s'il en fut jamais. Nous doutons que de tels honneurs aient
 été rendus, sous la monarchie, au duc d'Angoulême ou au duc d'Orléans
 lorsqu'ils sont venus nous visiter. Le maréchal Bugeaud s'était révélé
plus modestement aux Lyonnais. Ce que nous avons remarqué, ce n'est
pas tant l'immense déploiement de forces militaires qui a eu lieu, ce n'est
pas tant les innombrables décorations qui couvraient la poitrine du géné-
ral Castellanne, que l'absence du général Gémeau au milieu de cet
 appareil triomphal ; il eût été facile de l'associer à cette sorte d'ovation
et d'entourer des mêmes sympathies celui qui partait et celui qui arri-
vait. 11 n'en a rien été. Autant la gent officielle s'est montrée empressée
envers l'un, autant elle s'est peu souvenue de l'autre. Au moment où
le général Castellanne entrait tumultueusement avec son état-major
dans la rue Bourbon, nous avons nous-mème aperçu Mme Gémeau tra-
versant à la hâte la promenade des Tilleuls, comme pour se dérober à
un spectacle qui avait tout l'air d'une leçon de la Providence. Dix mi-
nutes après l'arrivée de son successeur, M. Gémeau quittait l'hôtel de
la rue Boissac, n'ayant pour toute escorie que son domestique, em-
portant un sac de voyage.
    Il est à croire que le général Castellanne vaut mieux que sa réputa-
tion ; si les excentricités dont on parlait tant se bornent à ne jamais se
montrer en public qu'affublé de toutes ses décorations, à se mêler
seul à la foule , à caresser les petits enfants, à lier conversation, au
hasard, avec tout le monde, nous ne nous en plaindrons pas. Ces
goûts-là ne sont pas dangereux.
   Nous lui dirons seulement: « Général, voilà bientôt une année que
Lyon est soumis au régime de l'état de siège; examinez la situation morale
de notre ville avec cette franchise, cette loyauté, cette bonne volonté,
dont votre passé militaire, si bien rempli, nous est une preuve ; voyez
les choses par vous-même; ne vous laissez pas circonvenir par les in-
trigues ; ne soyez pas , sans le vouloir, l'instrument des rancunes,
l'instrument de la peur ou de l'intérêt privé.
   Nous en sommes sûr d'avance, lorsque vous aurez tout vu, tout
pesé, vous serez le premier à réclamer la levée de l'état de siège;
avec les forces dont vous disposez, il est inutile ; il est un outrage
à une grande cité ; il fait de nous au milieu de la République, comme
une population à part, indigne de la liberté.