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526 CHRONIQUE MUSICALE; ville, le rang qu'elle tenait ailleurs ? Hélas ! nous n'en sommes pas tout-à -fail là ' Et elle a, malheureusement pour noua, trop pu s'apercevoir que, en venant de Paris à Lyon , elle s'éloignait en réalité de l'Italie. Dans les quatre concerts qu'elle donna d'abord, elle semblait avoir pris à tâche de révéler la véritable nature de son talent admirable. Prodigue d'elle-même, elle interpréta tour-à -tour les deux genres «cria et bvffa de Rossini, dans Sdmiramide, il Barbiere et la Cenerentola. Elle fit pétiller à nos oreilles les vives paillettes de la Lucrezia ; puis, tout à côté , les accents lan- goureux de la Somnambula , et jusqu'au style diamanté de Paccini, dans la IS'iobé- Erreur et mécompte ! La foule, un moment attirée par l'étrangeté de la chose , reprit bientôt le chemin des Célcstins ou du Jardin-d'Hiver ; e t , dès le troisième, ces concerts ne faisaient plus d'argent ! ! Pardonnez-leur, sublime artiste , pardonnez-leur ; car, en vérité , ce sont là gens coutumiers du fait : et je m'étonne qu'on ne vous en eût point avertie. Us ont laissé chanter Tamburini presque dans le désert. Ils gardent le même accueil pour toute troupe italienne qui s'aventure à remonter le llhône. Ils en ont eu assez des Puritains après deux représentations. Quand Duprez, votre compatriote|par la voix , vint chez eux, ils le sifflèrent ; ils s'en glorifient encore aujourd'hui ; e t , pour un peu, consa- creraient volontiers ce souvenir dans les armes de la ville ! — Mais , vous-même , n'aviez-vous donc pu juger, sur vos affiches mêmes, à quel point l'italien est cultivé parmi nous? Un jour, elles portaient l'air d'Ârsau (lisez Arsace ) ; —puis, c'était il Barbiire di Siviglio.—Une autre fois, la Generentola ; sans parler de la Sonnam- bula , de l'air composé par Mad. Malibran, et mille autres gentillesses ! En vain multiplierait-on les séductions: elles échoueraient contre ce vice de na- ture. La direction se propose, dit-on, d'appeler à Lyon les illustrations de la salle "Ventadour. Dispensez-les du voyage ; dispensez-nous de l'épreuve. N'entendez-vous pas déjà nos dileltanti reprocher à Rubini de n'être pas assez acteur ? à la Persiani... • que sais-je ? de n'avoir pas d'assez riches costumes ? Lablache lui-même, croyez-le, n'obtiendrait ses lettres de naturalisation lyonnaise qu'en dépouillant Dulcamara pour vêtir Fontanarose.—Atout ceci, je le sais, ils ont leur réponse prêle: « Quand je vais au théâtre, j'aime à comprendre ce que l'on chante. » Justification sans réplique, et que jamais je n'essayai de réfuter ; car si tels accents ne dépassent point leur oreille, si la langue de Rossini, de Cimarosa est, en effet, pour eux lettre morte, pardonnez-leur, Alboni, pardonnez-leur, je le répète : vous voyez bien que, de leur propre aveu , ils ne vous comprenaient pas ! Se voyant dans cet impasse, la grande artiste s'est montrée femme de ressources ; car elle a joué la Favorite. Elle s'est montrée femme d'esprit ; car elle l'a jouée jus- qu'à six fois de suite , sans doute afin que la leçon fût complète. Puis elle a abordé la Heine de Chypre, et enfin Charles VI. — De celte tentative, l'issue n'était pas douteuse. — Ainsi que l'écrivait un de nos plus judicieux collègues : « M lle Alboni a bien assez de talent pour réussir même dans la Favorite. » Elle a donc triomphé sous les traits de Léonor, de Catarinà et d'Odette. Mais, quoique bien supérieure à tout ce que nous avions entendu dans ces rôles, quoique y ayant même gagné l'occasion de montrer une intelligence scénique et une animation qu'on lui avait tout d'abord déniées, elle n'en a pas moins, selon nous, évidemment dérogé en mettant ses facultés