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 ville, le rang qu'elle tenait ailleurs ? Hélas ! nous n'en sommes pas tout-à-fail là'
 Et elle a, malheureusement pour noua, trop pu s'apercevoir que, en venant de Paris
 à Lyon , elle s'éloignait en réalité de l'Italie. Dans les quatre concerts qu'elle donna
 d'abord, elle semblait avoir pris à tâche de révéler la véritable nature de son talent
 admirable. Prodigue d'elle-même, elle interpréta tour-à-tour les deux genres «cria et
  bvffa de Rossini, dans Sdmiramide, il Barbiere et la Cenerentola. Elle fit pétiller à
  nos oreilles les vives paillettes de la Lucrezia ; puis, tout à côté , les accents lan-
 goureux de la Somnambula , et jusqu'au style diamanté de Paccini, dans la IS'iobé-
 Erreur et mécompte ! La foule, un moment attirée par l'étrangeté de la chose ,
 reprit bientôt le chemin des Célcstins ou du Jardin-d'Hiver ; e t , dès le troisième,
 ces concerts ne faisaient plus d'argent ! !
    Pardonnez-leur, sublime artiste , pardonnez-leur ; car, en vérité , ce sont là gens
 coutumiers du fait : et je m'étonne qu'on ne vous en eût point avertie. Us ont laissé
 chanter Tamburini presque dans le désert. Ils gardent le même accueil pour toute
 troupe italienne qui s'aventure à remonter le llhône. Ils en ont eu assez des Puritains
 après deux représentations. Quand Duprez, votre compatriote|par la voix , vint chez
  eux, ils le sifflèrent ; ils s'en glorifient encore aujourd'hui ; e t , pour un peu, consa-
 creraient volontiers ce souvenir dans les armes de la ville ! — Mais , vous-même ,
n'aviez-vous donc pu juger, sur vos affiches mêmes, à quel point l'italien est cultivé
 parmi nous? Un jour, elles portaient l'air d'Ârsau (lisez Arsace ) ; —puis, c'était
il Barbiire di Siviglio.—Une autre fois, la Generentola ; sans parler de la Sonnam-
 bula , de l'air composé par Mad. Malibran, et mille autres gentillesses !
    En vain multiplierait-on les séductions: elles échoueraient contre ce vice de na-
ture. La direction se propose, dit-on, d'appeler à Lyon les illustrations de la salle
"Ventadour. Dispensez-les du voyage ; dispensez-nous de l'épreuve. N'entendez-vous
pas déjà nos dileltanti reprocher à Rubini de n'être pas assez acteur ? à la Persiani... •
que sais-je ? de n'avoir pas d'assez riches costumes ? Lablache lui-même, croyez-le,
n'obtiendrait ses lettres de naturalisation lyonnaise qu'en dépouillant Dulcamara
pour vêtir Fontanarose.—Atout ceci, je le sais, ils ont leur réponse prêle:
« Quand je vais au théâtre, j'aime à comprendre ce que l'on chante. » Justification
sans réplique, et que jamais je n'essayai de réfuter ; car si tels accents ne dépassent
point leur oreille, si la langue de Rossini, de Cimarosa est, en effet, pour eux lettre
morte, pardonnez-leur, Alboni, pardonnez-leur, je le répète : vous voyez bien que,
de leur propre aveu , ils ne vous comprenaient pas !
   Se voyant dans cet impasse, la grande artiste s'est montrée femme de ressources ;
car elle a joué la Favorite. Elle s'est montrée femme d'esprit ; car elle l'a jouée jus-
qu'à six fois de suite , sans doute afin que la leçon fût complète. Puis elle a abordé
la Heine de Chypre, et enfin Charles VI. — De celte tentative, l'issue n'était pas
douteuse. — Ainsi que l'écrivait un de nos plus judicieux collègues : « M lle Alboni a
bien assez de talent pour réussir même dans la Favorite. » Elle a donc triomphé sous
les traits de Léonor, de Catarinà et d'Odette. Mais, quoique bien supérieure à tout
ce que nous avions entendu dans ces rôles, quoique y ayant même gagné l'occasion
de montrer une intelligence scénique et une animation qu'on lui avait tout d'abord
 déniées, elle n'en a pas moins, selon nous, évidemment dérogé en mettant ses facultés