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                             DE GRENADE A MALAGA.                      409
sur le col de son cheval et se prit à pleurer. Ce lieu, situé sur la route
de Motril, s'appelle encore le soupir des Maures fel suspiro de los
MorosJ. La sultane Aïssa, mère d'AMali, lui dit alors : Tu fais bien
de pleurer comme une femme sur la perte d'un royaume, pour lequel
tu n'as su ni combattre, ni mourir comme un homme ! — Une femme
de Sparte n'aurait pas mieux dit, n'est-il pas vrai ? Mais tu n'aimes
pas les femmes qui parlent comme des héros ou comme des maîtres
d'école, — ni moi non plus !
   Et puis, comprends-tu que l'on puisse se battre,se faire tuer sous un
ciel si doux ? Le cœur y nage dans une si molle langueur, il y est
bercé par de si voluptueuses défaillances, qu'il ne doit pas rester plus
de vigueur dans les muscles que d'héroïsme dans l'âme.— L'héroïsme,
quand il fait chaud, quand il sent bon , sous les longs regards des
femmes, sous le frais sourire de la nature, à quoi bon? Autant vau-
drait franchement mettre une giberne et des moustaches à Vénus-
Kallipyge. Le dernier roi de Grenade devait ressembler au Sardanapale
de Byron : Myrrha devait lui dire :
               A long of feasts, and flowers, and wine, and revel,
               And love, and rairlh, vras never king of glory (i).
   Et, comme Sardanapale, il devait répondre :
         Glory ! what's glory ? La gloire ! qu'est-ce que c'est que la gloire ?
    Aujourd'hui, Grenade est une de ces villes déchues, comme on en
 rencontre à chaque pas en Espagne : témoignage d'une prospérité
 qui n'est plus ; reproche que le passé fait sans cesse au présent. Les
 mines de la ville catholique ne suffisent pas à remplir l'enceinte de la
vieille cité d'autrefois. Les habitants ne suffisent pas à peupler tout ce
qui n'est pas encore ruiné. Mais ce qui augmente la désolation de ce
spectacle, c'est que ces ruines se sont faites lentement, paisiblement,
toutes seules ; ce sont les hommes qui ont manqué peu à peu. Le
sang s'est glacé ; la vie s'est arrêtée. En peuplant les couvents qui
faisaient l'aumône à ses pauvres, en peuplant l'Amérique qui faisait
l'aumône à ses riches, l'Espagne oisive est arrivée à un déplorable
état de dépopulation.
   Telle est la cause de cette léthargie politique où elle était plongée
depuis Philippe II. Le gouvernement espagnol avait fait de cette mi-
sère un secret d'état. Et il a fallu longtemps, aux diplomaties étran-

     (i) Le roi des fêtes, des fleurs, du vin, de l'oigie, de l'amour cl de la joie ne
' i l jamais le roi de la gloire.