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LES TABLEAUX VIVANTS DE M. KELLER. On sait en quoi consiste le spectacle que M. Keller offre chaque soir au public dans la petite salle de la galerie de l'Argue ; un tel spectacle est-il immoral? Telle est la première question que nous nous sommes adressée. Malgré le rigorisme qu'un journal de notre ville a cru devoir adopter, nous n'hésistons pas à répondre : non. Il faut n'avoir jamais as- sisté de sa vie à la représentation d'un ballet quelconque pour avoir une autre opinion ; ce n'est certainement pas en ajoutant quelques mi- limètres de plus à la jupe d'une danseuse, comme le fit M. Laroehe- foucault, de pudique et virginale mémoire, ou en exigeant que le mail- lot soit blanc au lieu d'être rose, qu'on aura trouvé le secret de donner la décence à une danseuse ; il y a telle pirouette, telle pose qui, pour être exécutée avec une tunique tombant jusqu'aux chevilles, n'en sera pas moins 1res obscène; il y a,dans le meilleur monde,telle valseuse à la mode qui, pâmée aux bras de son cavalier, les seins en arrêt, les yeux convulsivement tournés vers le plafond, toute moite et toute rougissante sous le souffle de son danseur, ne sera jamais qu'un type de lasciveté très-expressive ; a côté d'elle, Mme Keller, assise sur sa panthère, serait prise pour la statue de la Chasteté. La pudeur ne réside pas seulement dans l'objet, dans la personne que nous regardons ; elle réside surtout en nous-mêmes -, elle abaisse entre nos yeux et l'objet un voile plus utile, une gaze plus sûre même que nos paupières. Ce qu'est leur cristal aux fontaines, dit M. Joubert, ce qu'est leur vapeur aux paysages, la pudeur l'est à la beauté et à nos moindres agréments. Toutes les fois donc que nous faisons le procès à la pudeur de notre prochain, persuadons-nous bien que nous le faisons en même temps à la nôtre propre. Cette pensée rendra notre pruderie plus circonspecte. Le genre de spectacle créé par M. Keller, s'il était bien compris, élevé, épuré, pourrait n'être pas sans utilité sociale ; ce serait, pour ainsi dire, l'enseignement du beau plastique; or, de quelque côté que luise un