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72                  DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE.

89 l'a bien fait voir, et ce contraste n'a point échappé à M. Michelet.
» C'est alors, dit-il, que l'âme de la'France, loin de se resserrer, s'é-
tend, embrasse le/ monde entier d'une pensée sympathique, alors
qu'elle offre à tous la paix, veut mettre en commun entre tous son
trésor, la liberté. » En effet, avant que cette âme de la France,
pour parler comme M. Michelet, se manifeste, avant qu'elle se dégage
pleinement, il faudra que les gigantesques individualités féodales, dis-
posées à se prendre elles-mêmes pour but et pour fin de toute chose,
occupées à guerroyer entre elles, s'amoindrissent ou disparaissent ;
quand les personnalités particulières se seront effacées, la grande
personnalité nationale éclatera dans toute sa force, dans toute son
unité, dans toute sa responsabilité. Chose qui n'a point été assez re-
marquée, c'est au moment des guerres, des troubles, des révolutions,
alors que l'autorité des chefs naturels, l'autorité traditionnelle subit
une éclipse, c'est au moment que la pensée de la nation, la pensée de
tous, rendue pour un instant à la liberté, se fait jour dans un rapide
essor, et parle plus haut.
    Membres d'une société qui repose tout entière sur l'initiative indivi-
duelle, nous n'avons pas à reprendre les vieilles thèses de l'école li-
bérale et à réclamer pour l'individu de nouvelles et plus fortes garanties
contre le pouvoir. Non, car, aujourd'hui le pouvoir n'est plus et sur-
tout ne doit plus être une autorité personnelle, ayant des vues et des
intérêts différents des nôtres ; le pouvoir, c'est nous-mêmes, c'est no-
tre volonté. Loin de travailler à nous fortifier contre lui, à l'isoler, à
lu faire la guerre,nous devons tendre à le rapprocher de nous, à faire
 corps avec lui, pour ainsi dire.
    Mais puisque la loi et le pouvoir ont leur origine dans l'initiative de
 l'individu, puisque cette initiative est le principe de toute hiérarchie,
 et de tout mouvement, la source même de la vie dans la société mo-
 derne, c'est à l'éclairer, à la protéger, à la féconder que nous devons
nous appliquer. Plus cette initiative sera libre, éclairée, active, plus
 la responsabilité de l'homme sera grande, plus l'homme sera grand lui-
 même. L'individualité, voilà l'élément indestructible de toute société,
 parce que toute société est constituée en vue de l'individu, parce que sa
 grandeur et sa force sont toujours en raison de la force et de la gran-
deur des membres qui la composent. Donc, tout système politique
 qui n'aura pas pour effet constant de tirer de l'individualité tous les
 fruits qu'elle contient, d'utiliser toutes ses forces, de venir à son
  secours, en écartant les obstacles qui compriment ses élans, de stimuler
  son énergie, tout système qui la tiendra en mépris ou défiance es
  jugé et condamné d'avance.