Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
70                 DE LA RESPONSABILITE SOCIALE.

 tous et sur chacun, voilà le fait qui me frappe surtout dans la société
 nouvelle ; c'est ce sentiment de responsabilité sociale qu'il est urgent
 de faire pénétrer profondément dans les mœurs de la nation, dans le
 cœur de tous.
    Je ne sais si je m'abuse, mais un tel sentiment me paraît essen-
 tiellement propre à pacifier les esprits, et à conseiller à tous la sa-
gesse politique. 11 ne pousse pas à la conquête de nouveaux droits,
car il suppose la reconnaissance et l'exercice de ces droits. Mais qui
doute que le sentiment du devoir ne fût en chacun de nous singu-
lièrement accru et fortifié, si nous avions tous en France la per-
ception nette de cette vérité, que la société, le pouvoir, la loi étant
notre œuvre, nous en sommes responsables. Spectacle plein de tris-
tesse ! Victorieux d'hier, et désespérant déjà de nous-mêmes et de notre
victoire, nous nous hâtons de revenir sur nos pas, prêts à jeter dans
les abîmes que nous venons de franchir, nos droits les plus chers,
ceux qui nous ont coûté le plus d'efforts et de travaux, jusqu'aux dé-
pouilles opimes de la liberté. Il vaut la peine d'y faire attention!
C'est moins à nous débarrasser de nos droits, comme d'une armure
trop lourde qu'il faut songer, qu'à fortifier en nous les sentiments
qui nous les feront trouver légers.
    J'ai dit que la responsabilité était la mesure même de la graodeur
de l'homme. Ecrire, en effet, l'histoire de la responsabilité humaine,
ce serait, chez les nations comme chez les individus, écrire l'histoire de
la liberté.
    Les nations ne s'y prennent pas autrement que les individus, pour
conquérir la pleine possession d'elles-mêmes, et pour devenir respon-
sables de leurs destinées ; la personnalité de l'homme n'est achevée
que lorsqu'il est parvenu à affranchir sa liberté morale de tout ce qui
pèse sur elle, de tout ce qui la resserre, de tout ce qui la gène : les
préjugés, les passions, les fictions, les fatalités de toutes sortes qui
l'étreignent. Qui habet dominum dominium non habet. Tant qu'il a
un maître dans sa raison, dans sa volonté, dans son cœur, l'homme
n'est pas complètement libre ; sa responsabilité n'est pas entière ; il
est plus ou moins le jouet des forces qu'il est de son devoir de com-
battre ou de s'approprier.
    Il en est de môme d'un peuple. Tant que les institutions qui le
régissent ne sont pas son œuvre à lui, tant qu'elles ne sont pas a-
dœquates à sa volonté et à sa raison, tant que le pouvoir et la loi ne
 sont pas sa propre création, le peuple est en tutelle ; je n'affirme pas
 que cette tutelle ne puisse être éclairée et paternelle ; tout pasteur de