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490 DD GÉNIE LITTÉRAIRE DE I.'EUROPË. ténèbres de l'ame, à dérouler, d'une main forte el sûre, les replis cachés de la nature humaine qu'il domine de toute sa grandeur, Shakspeare a recueilli chez tous les peuples, dans tous les temps, dans tous les événements, ces types émouvants el terribles, et ces douces et radieuses images par lesquels il peint tour à tour l'ascendant du mal el du bien, de la folie et de la sagesse, de la passion et de la conscience, dont nul n'a proclamé aussi éloquemmcnl l'auguste et r e - doutable empire. Peintre admirable, moraliste sublime, malgré de trop fréquents écarts, il a reflété dans ses vers toule la gloire de la nation anglaise, sous le règne heureux d'Elisa- beth, qui vit la science, également agrandie par le génie scrutateur de Bacon, offrir aux regards un majestueux en- semble, une source abondante de lumières, auxquelles l'Al- lemagne, déchirée par la guerre, menacée dans son exis- tence, ne put prêter qu'une attention distraite, malgré le noble exemple de Gessner el de Kepler. Bientôt aussi la discorde civile, divisant les Anglais, ensanglantant le trône, menaça d'étouffer leur sève intellectuelle ; mais , chose étrange ! c'est du sein des ruines que la poésie va repren- dre l'essor. Milton, brisé par l'infortune, dépouillé de tout espoir terrestre, s'élève soudain par la force du génie à la contemplation des anges, et, animé du souffle prophétique, il chante, en ravissants accords, la chute el la grandeur de l'homme, les tourments de l'enfer el les délices du ciel : admirable élan de douleur, de brûlanle énergie el de saint enthousiasme. Entre l'agitation fébrile du nord et la muette léihargie du midi, où se réfugia la pensée, mûrie dans son automne par vingl siècles d'épreuves, fécondée, épurée par le goût, vivifiée par la liberté? Quel asile plus sûr, plus inviolable pouvait-elle trouver que notre France, qui, tranquille, puis- sante el unie, victorieuse du midi et du nord, combinant leurs