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472 VOYAGE A VIENNE. c'était bien l'étrange figure qui m'était connue; c'était le grand artiste, moins l'animation divine, moins la royauté de l'art, moins le sceptre, moins l'archet! J'écoutais cependant comme si, des profondeurs de la grotte, allait s'élever cette sublime prière de Moïse digne de monter tout droit au ciel! Après ce singulier facsimile qu'ont fait quelques gouttes d'eau lapidifique, ei que de nouvelles gouttes déferont, on me montra une chaire. Pour animer la forme muette, et y mettre, au défaut de la parole, le geste et l'action, un des guides y était monté et paraissait prêcher. Les visiteurs de divers pays qui s'y trouvaient — et il y en avait beaucoup, — se laissant aller à l'illusion, étaient attentifs, comme si cet homme, pour mieux jouer le prêtre, allait dire aux Anglais, aux Italiens, aux Allemands, à moi, Fran- çais, mes très-chers frères, couvrant ainsi de la grande con- fraternité évangélique les dissidences religieuses et nationa- les, et faisant comprendre qu'à quelques pieds sous terre il n'y avait plus que des frères. Puis, après l'action de la chaire, vint l'inaction du tombeau. Il paraissait, comme la chaire, en marbre blanc: ainsi l'avaient fait les stalagmites. Ce fut bientôt une représenta- tion funèbre mêlée de gravité burlesque, comme une scène des fossoyeurs de Shakspeare. Pour compléter le monument, l'un des guides s'était couché sur le couvercle sépulcral, dans une immobilité de pierre, tandisque d'autres, placés en statues, aux quatre angles, jouaient ainsi au mausolée. Je goûtai peu la singerie tumulaire de ces hommes; mais il y avait là une leçon de la nature qui rappelle partout la grande infirmité de mort, et met son terrible mémento jusque dans la goutte d'eau qui tombe du rocher dans les entrailles de la terre ! J'étais dans la grotte d'Adelsberg depuis plus de trois heures, lorsqu'on m'avertit, en italien dalmate, qu'il faudrait