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           DE QUELQUES COMÉDIENS D'AUJOURD'HUI.                    445
les vers de Louis XI, à une cinquantaine de bourgeois qui baillaient.
Passe encore pour les vers de M. Latour (de Sl-Ybars), ou la prose
de M. Hippolyte Lucas, mais le poète des Messéniennes avait droit
à de plus ardentes sympathies. Certes, Monsieur, quoiqu'il puisse
convenir à certaines gens d'amoindrir le premier tragique du
Théâtre-Français, en faisant sonner à nos oreilles les noms redou-
tables de Talma et de Lekain, il n'en demeure pas moins assuré
que Ligier, cet interprête puissant de notre répertoire moderne, a
 dû avec raison être douloureusement surpris de tant d'indifférence
et de tant d'abandon. Aussi, comme s'il eut voulu se venger noble-
ment, et comme se vengent toujours les vrais artistes , Ligier s'est
 élevé ce soir-là aux plus magnifiques inspirations de la muse tragi-
 que. Livré à lui-même dans une salle à peu près vide, entouré d'ac-
 teurs inexpérimentés et maladroits, de ces auxiliaires malencontreux
 qui feraient siffler le plus admirable chef-d'Å“uvre, il nous a fait
 avec un art sans égal passer successivement par les émotions les
 plus diverses. Vous savez, Monsieur, avec quelle science profonde,
 quelles études persévérantes, et guidé par les conseils du poète,
 l'acteur a pris soin de composer le rôle et de rendre la physionomie
du personnage dans sa terrible vérité; ce soir-là, comme s'il avait
 en face de lui ce public du Théâtre-Français qui sait si bien l'écou-
 ter et le comprendre, Ligier, a fait de Louis XI le portrait le plus
 saisissant qui se puisse imaginer, fausse bonhomie, ressentiments
 implacables et cruels, superstition vulgaire, lâches terreurs en face
 de la mort, agonie sublime, c'était bien là l'homme qu'a si supérieu-
 rement dépeint Philippe de Commines. Malgré tout cela, nous n'étions
 pas deux cents spectateurs dans toute la salle. Quel temps que celui
 dans lequel nous vivons! M. Clairville décoré pour tout le mauvais
 esprit qu'il a répandu sur le théâtre, éclabousserait en carrosse
 Casimir Delavigne qui irait à pied, si Casimir Delavigne n'était
 pas mort.
   Après tout, pourquoi s'étonner du prodigieux succès de Gentil
Bernard à Lyon, et par contre du dédain avec lequel le grand art,
l'art de bien dire, est traité par le public d'à présent. Est-il possible
qu'il en soit autrement, et faut-il attendre autre chose de ceux qui
rendent à M"e Araldi de plus grands honneurs qu'à M" e Rachel,