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THÉÂTRES. 97 aucun intérêt dès le principe, et l'on ne se trouve pas mieux dis- posé pour lui que pour la société. 11 donne trop beau jeu aux con- servateurs, et nous lui en voulons pour cela. Certes, les infamies abondent à l'heure qu'il est dans Athènes, et nous saurions bon gré à qui la fustigerait d'importance, mais encore faut-il nous montrer les plaies réelles, les vices caractéristiques et déterminés de notre temps, pour nous inspirer une fructueuse indignation. Il faut en outre que cet édifice de critique repose sur un fond de croyance et de moralité. L'ignoble échoppe d'un cynique n'est pas une chaire bien placée pour tonner contre l'académie et l'aréopage Athènes entière, la philosophie, l'éloquence, la politique sont prosternées, dans la pièce, aux pieds d'une illustre lorette ; c'est pour elle et pour ses semblables que se commettent tous les vols et toutes les trahisons ; les pères et les fils lui livrent à l'envi l'héritage et l'hon- neur des familles. Que va faire le réformateur qui vient attaquer cette corruption sans frain, il'débute par tomber lui aussi amou- reux de la courtisane! La pièce entière aboutit à confondre un faux témoin, qui est aussi un misérable avocat. Il y a de bonnes choses et de bonnes qualités, à travers tout cela ; de bonnes inten- tions, d'abord ; des vérités dites à tous, grands et petits, avec ru- desse et impartialité, si non avec justesse et avec profondeur; de la verve sans goût, mais avec abondance; pas de style, mais beau- coup de mots heureux et piquants; peu d'intérêt réel, mais une certaine entente de la scène, et une excitation suffisante à la cu- riosité. C'est une œuvre de talent, mais d'un talent qui paraît des- tiné à rester incomplet. L'ouvrage est monté et joué sur notre théâtre, de manière à obtenir tout le succès que peut comporter sa valeur littéraire. M. Tony s'est montré excellent dans le rôle de Diogène, la cheville ouvrière de la pièce ; tous les autres rôles sont très convenablement remplis. Nous avons saisi au passage trois représentations de Mme Dorval, et nous avons retrouvé avec bonheur la grande actrice qui a donné au drame moderne sa réalité saisissante et ses poignantes émo- tions. Aujourd'hui qu'il est de bon goût de se moquer de cette lit- térature, un peu violente sans doute, mais pleine de sève, de vie et même de grandeur, qui a précédé et suivi le mouvement de ?