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260                UN TABLEAU DE MUHILLO.

atteindre à sa main et l'arrêter. Le pauvre petit se penche-,
il tend en vain le bras; on voit son faible effort; on entend ses
plaintes encore inarticulées, on s'en émeut; et cependant l'in-
sensibilité de la mère attriste plus qu'elle n'étonne : on
comprend, ce semble, que chez elle une trop grande jeu-
nesse n'a pas encore permis au sentiment de la maternité de
se développer. De l'autre côté, la scène est tout autre : là
aussi il y a une jeune mère; mais tous ses traits portent
l'empreinte de la plus aimable bonté. Active et s'oubliant
elle-même, elle s'empresse de faire boire deux enfants de
six à huit ans. Par un instinct charmant, elle a commencé
par le plus jeune, qui boit avidement, les yeux fixés sur la
coupe, absorbé tout entier dans le plaisir qu'il éprouve.
L'aîné, impatient, semble accuser sa lenteur et vouloir lui
prendre le vase des mains. La mère l'arrête; elle les en-
toure tous deux de ses bras, elle les couve de ses regards,
elle semble ne pas sentir elle-même les tourments de la soif,
dans le bonheur qu'elle trouve à les abréger pour ses en-
fants. Cette femme est vraiment une délicieuse créature.
On l'aime pour sa beauté vive, accorte, séduisante ; on
l'aime plus encore pour ce cœur dévoué, pour cet entraî-
nement de bonté qui lui ajoute une nouvelle grâce. Ce
n'est qu'avec peine que les yeux ravis se décident à s'en
détacher.
    Je crains, monsieur, de vous avoir impatienté avec ces
longs détails dont je n'ai pu me résoudre à sacrifier aucun.
Il faut le pardonner à un homme qui a passé de longues et
bien douces heures, assis devant celte gravure, à se pénétrer de
toutes les intentions de l'artiste, à les deviner, à les admirer.
Cette admiration serait vaine et stérile, si elle nefinissaitpas
par se transformer en idées, en théories. Aussi j'ai cher-
ché à me rendre compte du plaisir dont je jouissais, de l'é-
motion dont peu-à-peu je me sentais saisir, et il m'a semblé