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256 UN TABLEAU DE MURILLO. chemin faisant, les diverses idées qu'elle a éveillées dans mon esprit. — Au milieu s'élève le rocher que Moïse vient, de frap- per, et d'où s'élance une large fontaine qui se fraye un lit à travers le sable sur le devant du tableau. C'est autour de ce rocher et de cette eau que tout se groupe. Au bord du ruisseau, Moïse debout tient encore à la main la fa- meuse verge qui lui a servi à accomplir le miracle. Les mains jointes et le regard au ciel, il remercie le Dieu qui a pris enfin pitié de son peuple. Sa grande et belle figure domine la foule qui l'environne. Derrière lui, Aaron donne les mar- ques de f élonnement le plus vif. Cependant, hommes, fem- mes, enfants, animaux môme se pressent autour de l'eau. A leur impatience, à la joie de ceux qui peuvent déjà s'y désaltérer, on juge des longues souffrances que la soif leur a fait éprouver. Les uns, qui occupent le bord du ruisseau, boivent à longs traits l'onde bienfaisante, ou en remplissent de grands vases ; d'autres s'efforcent de percer la foule pour jouir â leur tour du bienfait céleste, et, au fond du tableau, dans un lointain d'une vérité admirable, on aperçoit un coin de la longue caravane du peuple hébreu qui se déroule dans le désert, et dont la fin se perd derrière le rocher. Telle est, monsieur, l'heureuse ordonnance de cette scène. Au milieu de détails infinis, rien de plus un, rien de plus simple, rien qui satisfasse mieux l'intelligence. Les personna- ges sont bien nombreux, mais l'expression de leur visage, leur attitude, leur moindre geste, tout ramène les regards vers celte eau merveilleuse ; et il en résulte au plus haut de- gré cette impression d'unité, si impérieusement exigée en littérature, mais à laquelle la peinture s'est trop rarement as- treinte. Quoi de plus nécessaire cependant? L'esprit humain, créé pour l'ordre, le cherche et l'exige dans toutes choses, et ne peut voir de beauté où il ne le voit pas. C'est la loi qui domine toutes les productions des arts ; el si cette