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UN TABLEAU DE MDRILLO. *255 nous a donné, et que l'opinion d'autrui ne nous guide jamais. En fait d'art, tout doit être personnel, l'autorité est de nul usage. Pourquoi des intermédiaires entre ces grands artistes et nous ? Sommes-nous donc incapables de comprendre ce qu'ils ont pensé, de sentir ce qu'ils ont senti? Non, sans doute : ils étaient des hommes de génie, mais leur esprit était fait comme le nôtre, leur cœur comme notre cœur, et si nous le voulons, si nous ne nous abandonnons pas nous-mêmes, rien ne nous empêche de les approcher, de les entendre, d'entrer dans leurs pensées et leurs sentiments. Si nous ne voyons pas tout, du moins nos idées et nos impressions seront bien à nous, notre cœur aura vraiment parlé, nous serons des hommes et des critiques, et non de stériles perroquets. Voulons-nous faire notre éducation de lettrés ou d'artistes, il n'y a qu'un moyen ; mettons-nous directement en contact avec les grands-maîtres; ouvrons Virgile, allons-nous placer au Louvre devant la Vierge au linge; là , sans nous préoccuper de ce qu'on a pu penser et dire avant nous, effaçant même s'il se peut de notre ame toutes les impressions étrangères, interrogeons-nous dans le silence de notre cœur. S'il ne répond pas, si aucune fibre ne s'émeut en nous, si le spectacle de la vie et de la beauté n'éveille rien dans ces profondeurs de notre être, si nous ne voyons pas le sang circuler sous ces chairs et la flamme briller dans ces yeux, si nous n'avons devant nous qu'une parole éteinte et une toile inanimée, alors, monsieur, elle est triste à dire, mais nous sommes jugés ; il ne reste plus qu'à chercher quel- que bon métier qui puisse nous enrichir, quelque bonne posi- tion où nous puissions couler doucement notre vie, nous ne sommes pas faits pour sentir, pour aimer, pour juger les choses de l'art. Après cette longue exposition de principes, il est bien temps d'arriver à ma gravure. Je vais, monsieur, vous la ra- conter simplement comme je l'ai vue, et vous exprimer,