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VOYAGE A VIENNE. 471
laissaient à l'aise un large pied, lequel terminait le tout sans
grâce. Sur le devant de la charrette pendait et oscillait, Ã
chaque mouvement, un crible dont le haut rebord circulaire
était en bois peint de joyeuses couleurs. L'homme, les che-
vaux et l'ustensile même, qui rappelaient ces jouets de Nu-
renberg, joies de notre enfance avant qu'on eut inventé le
buvard, tout cela était déjà pure Germanie: l'Allemagne se
montrait pour la première fois au détour du chemin.
Mais je laissai bientôt un peu la roule de Vienne pour
aller visiter la grotte d'Adelsberg, si vaste, si merveilleuse,
si curieusement fouillée par les étrangers, jusque dans ses plus
formidables profondeurs. J'y vis la salle de danse, informe,
immense, terrible ! On y donne parfois pourtant des fêtes
étranges où se mêlent l'Italie et l'Autriche, sans se confondre
jamais. Fêtes lugubres, ma foi, composées d'éléments irré-
conciliables, éclairées par des torches, où le pied de la dan-
seuse risque de heurter le bloc de granit aigu, où l'écharpe
de gaze peut rester pendue au rocher ! Avec sa voûte grani-
tique, haute de cinquante coudées, ses rocs perpendiculaires,
crevassés, saillants, rentrants, aux aiguilles menaçantes, aux
mille anfractuosités capricieuses, avec ses échos caverneux
et sa mystérieuse horreur, ce lieu me parût plus propre aux
évocations infernales qu'à un bal de simples mortels. 11 me
semblait voir les sorcières de Macbeth, quittant leur œuvre
sans nom pour entrer en branle avec des danseurs suspects,
et le bal véhément s'emporter en quelque sarabande in-
croyable !
En cheminant par celte prodigieuse voie souterraine, les
guides me firent remarquer parmi les jeux bizarres des
stalagmites le buste de Paganini, comme si la nature avait
voulu sculpter goutte à goutte cette singulière forme h u -
maine. En vérité, c'était lui avec sa grande face pâle, osseuse,
anguleuse, son nez proéminent et tous ses airs de tôle;