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444                          A PROPOS

M. Levassor sera peut-être quelque jour un comédien illustre,
comme Potier le fut autrefois, comme Bouffé et Vernet le sont
de notre temps.
   Mon intention en vous adressant ces quelques lignes n'était pas,
Monsieur, de vous répéter après tant d'autres ce qui a défrayé
pendant ces six derniers mois le feuilleton de chaque journal quoti-
dien, et cependant je m'aperçois, qu'il ne m'est pas trop possible
d'aller plus avant, sans vous dire en passant un mot de Mlle Déjazet.
Je ne sais pas si cette spirituelle actrice a jamais accepté de bien
bonne grâce la comparaison qu'on a cru devoir faire d'elle à Fre-
derick Lemaître en la mettant au même niveau que ce grand artiste,
le plus audacieux et le plus étrange, mais aussi, à coup sûr,
le plus sublime comédien de cette époque. Quelque soit le sentiment
caché de Mi'e Déjazet sur un point aussi délicat, il est une chose
bien certaine, c'est qu'elle est aujourd'hui en possession d'une po-
pularité sans égale, en province comme à Paris. C'est aussi une
chose merveilleuse de voir à quel point cette organisation, si frêle
et si délicate en apparence, a su résister à l'action d'ordinaire si
vainement combattue des années et aux fatigues de cette vie du
théâtre qui a dévoré tant de jeunes talents. Le temps, il est vrai,
n'a point modifié celui do M"e Déjazet, il ne lui a rien donné d'in-
time et de profond, et plus que jamais ce talent si plein de jeunesse
et de vivacité n'existe qu'à la surface, mais aussi le temps qui ne
lui a pas apporté ce qui lui manquait, ne lui a rien enlevé non plus de
ce qui faisait son charme, c'est toujours même entrain, même frai
cheur, même allure, même diable au corps. Gentil-Bernard n'est
pas plus vieux d'une année que Bonaparte à Brienne ou Voltaire
en vacances.
   C'est toutefois une chose navrante et véritablement honteuse à
dire, tandisque autour de celte misérable petite scène enfumée de
la place des Célesiins, au milieu de trois ou quatre décors ternis,
M ile Déjazet ameutait la foule sous le casque d'un petit dragon du
théâtre des Variétés, Ligier, le dernier tragédien, le seul homme
peut-être, qui sache dire et puisse dire à celte heure un alexandrin
à côté de M lle Kachel, Ligier, dans cet immense vide du Grand-
Théâtre, déclamait de cette belle voix sonore que vous lui connaissez