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270 UN TAliLliAC DE MUH1LLO. qui leur manque, on risque de singulièrement restreindre le champ de l'admiration. Ne voyons-nous pas des gens, et des plus éclairés, qui dans la ferveur exclusive de leur enthou- siasme pour Racine, ne trouvent plus de goût à Corneille et à Voltaire, et ne sont plus touchés ni de la passion héroï- que de Chimène, ni de la pudique tendresse de Zaïre? Pour d'autres, il n'y a qu'un musicien au monde ; Weber est trop pâle, Beethoven obscur, Rossini mou et lâche; le présent et l'avenir n'ont plus qu'à répéter éternellement les trop ra- res œuvres de Mozart, et à brûler tout le reste. Ne voient- ils pas, les malheureux, que l'art a nécessairement des for- mes diverses, en harmonie avec les divers caractères des hommes et des peuples ; et que cette variété est un charme de plus? Ah! monsieur, fuyons en toute chose la superstition, le fétichisme; sachons trouver et aimer la beauté partout où elle est cachée. C'est un trésor trop précieux pour n'en point recueillir avec amour les moindres parcelles. S'il est vrai, selon une théorie fort en vogue de nos jours, que la contemplation de cette beauté, tout aussi bien que celle du vrai et du bon, épure l'aine, et l'attire de plus en plus vers l'idéal moral, cela est surtout incontestable de ces œuvres où est empreint le sentiment du divin. Les types de perfection qu'elles nous présentent, supérieurs à ce que nous avions jusqu'alors rêvé, nous attirent à eux, nous entraînent à leur suite, pour ainsi dire, et ajoutent une force nouvelle à l'ins- tinct, à l'élan sublime qui nous pousse à monter sans cesse dans les régions de l'infini. Nul peintre, que je sache, n'exerce cette influence avec plus de puissance que Murillo, et je doute qu'elle puisse être, dans aucune de ses œuvres, plus sensible que dans le tableau que j'ai essayé de vous décrire. Goethe disait souvent, s'il faut en croire Mme de Staël, que si la tête du Jupiter olympien n'eut pas été perdue, s'il eût pu l'avoir dans son cabinet, il en eût été meilleur. Et en effet