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                          SUR LA POLITESSE                           407
   venir une habitude, elle a été une contrainte de tous les instants,
   et a exigé une surveillance perpétuelle sur soi-même. La politesse
   consiste à se gêner au profit des autres; C'est donc une contrainte
   se compliquant de désintéressement. C'est la négation des deux
   tendances les plus certaines, les plus authentiques, de notre na-
   ture, l'égoïsme et la licence.
      La politesse est donc un excellent moyen d'éducation morale et
   intellectuelle. Le. salon, cette école de la politesse, doit être fré-
   quenté de tous, mais surtout du jeune homme. Plus il y a dans un
   pays de véritables salons, où se trouvent réunis tous les, âges et
   tous les sexes, où chacun a le désir de plaire, et, dans ce but, s'ef-
   force de penser aux autres plus qu'à soi, consulte leurs goûts, pré-
, vient leurs désirs et n'attend d'autre récompense que leur bonheur,
   plus la politesse calme, sincère, devient une habitude et une néces-
   sité entre les hommes, et plus aussi ce pays est civilisé.
      Civilisé! c'est-à-dire plus parfait, plus fort, plus humain,
  plus sûr d'exercer la domination dans le présent, de rester un
   modèle pour l'avenir. Le pays est plus parfait, puisqu'il a su sa-
  crifier ses mauvais instincts, diminuer ses défauts, faire dispa-
  raître la colère et la violence, pour y substituer la douceur et la
  fermeté. Il est plus fort, car la nature propre de toute perfection
  véritable, c'est d'être une puissance de plus, c'est d'accroître là
  valeur de l'activité individuelle, en lui permettant de faire plus et
  mieux. S'il n'en est pas ainsi de tout ce que le monde appelle per-
  fection, c'est qu'il y a souvent des abus de langage, résultant de
  la mode, fruit d'un travers de l'esprit humain. Que de fois l'homme
  n'a-t-il pas déifié ses vices ! Que de fois, donnant do beaux noms à
  de tristes choses, nous avons mutilé notre langue, pour la forcer à
  être la complaisante de nos passions !
      C'est même ce qui a fait plus d'une fois une mauvaise réputation
  à la politesse. On y a vu souvent une faiblesse, ou une arme com-
  mode pour l'hypocrisie.
      Une faiblesse : vous vous rappelez le Misanthrope et les vigou-
  reux reproches que Philinte reçoit d'Alceste. L'honnête homme
  est désarmé devant le gredin ; la politesse lui interdit de dévoi-
  ler ses perfidies, de répondre à ses insolences. Si l'or a plus de
  valeur, il a aussi moins de force que l'or allié à de vtls métaux.