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                         AUGUSTE BARBIER                             171
  M. de Montalembert, l'un des lecteurs évidemment sympathiques
  des ïambes à leur apparition, soutint à ses confrères qu'on ne
 pouvait songer à M. Barbier par la raison bien simple qu'il était
  mort. Que l'anecdote soit vraie ou fausse, elle peint la situation.
  Le silence de la tombe s'était fait sur le nom du candidat. L'Académie,
 le premier moment de surprise passé, eut plus de mémoire que le
 public, et assez d'immortels surent retrouver leurs jeunes souve-
 nirs pour qu'une élection incontestée vînt rendre quelque lumière
 à cet astre passablement obscurci. Aujourd'hui la mort véritable
 est venue, et à propos de ces funérailles, trop réelles, cette fois, la
 curiosité se réveille, les questions surgissent, et quelques journa-
 listes et quelques critiques ont eu hâte d'y répondre. Les funérailles
 d'un académicien durent plus que celles d'un simple mortel; elles
 se prolongent jusqu'à l'éloge officiel qu'une louable coutume pres-
 crit à son successeur. Quand ce jour aura lui, ce sera, et pour long-
 temps, le dernier rayon sur une tombe. Mais l'impression sera,
 comme aujourd'hui, assez douce et pleine de sympathie. Car ce
 dernier rayon que pourrait bien, dit-on, projeter l'âme éloquente
 d'un savant évêque, ira éclairer la tombe d'un homme de bien.
    Il y a des hommes qui ne savent point porter dignement le poids
 de la gloire ou de la simple réputation. Il est peut-être encore
plus difficile, et j'oserais presque dire qu'il est beau, de savoir;
après avoir touché à la gloire, se résigner avec sagesse à l'obscu-
 rité ou tout au moins au demi-jour. Ce fut l'un des grands mérites
 d'Auguste Barbier. Que d'hommes vivent sur un premier succès
qui, impuissants à retrouver cette inspiration heureuse, en font
une réclame incessante dont ils fatiguent leurs contemporains, et
ne réussissent à éterniser que leur vaine jactance et leur incurable
présomption. Le succès éclatant des ïambes projeta sur toute la
carrière de Barbier une lumière qui devint bien vite un simple
clair-obscur. Il sut le comprendre, et fit preuve de tact à défaut
de génie. J'ai sous les yeux la première édition des ïambes, pré-
cédée d'une préface où les éditeurs ne manquent point de. placer
l'œuvre du jeune poète parmi les plus grandes manifestations de
la nouvelle école littéraire. Sans répondre à un aussi brillant ho-
roscope, les ïambes sont cependant arrivés, en 1882, à leur trente
et unième édition. Que de livres n'auront jamais une telle fortune !