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DU BEAU ET DE L'ART 349 chacun de nous se fait difficilement à la pensée que ce qu'il admire n'est pas admiré de tout le monde. Nous sommes tellement occupés- par la beauté qui nous domine, que notre indignation en est d'au- tant plus prompte et plus vive contre celui qui n'éprouve pas la même émotion que nous. Et cette indignation est bien moins violente en matière scientifique que dans le domaine de l'art. Nous plaignons celui qui ignore, nous plaignons encore celui qui nie la vérité. Au pis-aller, il nous apparaît comme un pauvre fou. Nous trouvons, au contraire, vil et grossier celui qui reste étranger à nos émotions esthétiques;'et, s'il porte atteinte à leur objet, nous l'appelons van- dale. L'histoire a pour la destruction des chefs- d'œuvres des flé- trissures qu'elle n'a pas pour la négation delà vérité.,Pour un peu, si la notion du devoir, si le respect des droits d'autrui n'inter- venaient pas, nous tenterions d'imposer nos admirations par la force. On s'est battu pour Hernani et on a parlé bien souvent delà race irascible des poètes, genus irrità bile vatùm. Maintenant que nous avons déterminé ce qu'est la beauté dans les objets, quelles impressions elle produit sur nous, nous sommes préparés à comprendre la grande formule platonicienne : le beau est un reflet de l'unité. Nous connaissons déjà quelques-uns des rapports de la beauté avec l'unité. Allons plus avant dans la pensée du Maître. L'unité c'est le Bien, la Perfection, Dieu enfin. Le beau est donc pour lui le reflet du Bien/ de la Perfection, de Dieu» Et cette formule est profondément vraie. Le beau est un progrès vers le bien parce que il est un progrès vers la liberté et, si nous suivons l'évolution des différentes formes du beau, nous le voyons sortir de l'exactitude déterminée des parties pour s'élever jusqu'à la mora- lité. Nous voyons qu'une chose est d'autant plus belle que, comme nous l'avons établi, la fin qu'elle réalise est supérieure à ce par quoi elle la réalise. Or, qu'y a-t-il de plus élevé que la moralité? Quelle chose est, d'autre part, réalisée par les symboles les plus élémentaires : le simple acte de vouloir, la bonne volonté ; et, pour loi de cette bonne volonté, une seule loiT un seul précepte, la loi morale ! Il y à une beauté physique et une beauté morale, et la beauté morale n'est pas séparée par un abîme de la beauté phy- sique» Nous pouvons disposer convenablement par la pensée les êtres de ce monde de manière à ce que nous assistions, en passant de l'un