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IS, LA VILLE DU ROI GRALLON 181 dant que les cuisines de l'auberge du Lion d'or préparaient notre déjeuner, nous eûmes le loisir d'admirer le superbe paysage qui se déroulait sous nos yeux. En face de nous, s'étendait à perte de vue l'Océan aux flots verts sombres, dont les vagues se brisaient écu- inantes sur des murailles de granit ; la baie de Douarnenez était sillonnée par de nombreux bateaux de pêche formant sur la mer comme des taches blanches ou rouges ; plus loin un vapeur cinglant vers Bordeaux ou l'Espagne nous était signalé par un léger nuage de fumée, et tout là -bas, bornant l'horizon à gauche, se dressait, au bout d'une étroite bande grise, la pointe du Raz aux sinistres légendes. Le spectacle changeait complètement si nous nous re- tournions : la rade semblait un lac aux eaux tranquilles et bleues ; tout au fond, Brest était signalé par ses fortifications et les arbres touffus de ses promenades ; sur la gauche, se dressait la côte nord du Goulet, aux mille dentelures surmontées de phares, d'amers et de batteries, s'abaissant peu à peu" jusqu'à Saint-Mathieu où les ruines de l'abbaye paraissaient à peine, se confondant avec les récifs du rivage ; à droite, la rivière de Châteaulin déroulait ses anneaux, semblable à un long serpent, et le Menez-Ilom fermait brutalement le tableau, élevant sa cime que venaient raser les nuages à une hauteur inusitée dans tout l'ouest de la France. L'heure du déjeuner vint nous arracher à cette contemplation et nous força à aller nous asseoir à une table boiteuse. Après avoir consciencieu- sement avalé lés mets plus ou moins bretons qui nous étaient servis, nous prenions congé de notre hôte. Le soleil était en ce moment au zénith, et notre descente à Morgate par un chemin sa- blonneux, miroitant sous la lumière intense, ne fut rien moins qu'agréable. A peine arrivés sur la plage nous hélions une barque de pêche, et bientôt nous nous enfoncions, avec un grand fracas causé parle bruit de nos avirons, sous les voûtes sonores que l'on a décorées du nom un peu prétentieux de grottes de Morgate. C'était peut-être très beau ; toutefois nous n'admirâmes que fort médiocrement l'espèce de creux au milieu duquel nous naviguions, nous courbant à chaque instant pour ne pas nous casser la tête contre des rochers absolument dépourvus de stalactites, et nous commencions à nous demander si nos camarades brestois, par un chauvinisme exagéré, ne s'étaient pas un peu moqués de nous,