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204                  LA REVUE LYONNAISE
    Quand Bentham rit de l'abnégation ou l'anathématise, du
moins il la reconnaît, il la traite de folie : donc elle existe. Quand
Stuart Mill, a travers mille détours, là fait dériver de l'égoïsme,
il anéantit ce que nous entendions sous ce nom respecté. Et quand.
Spencer nous montre dans la moralité « l'un des moment du rythme
universel », l'un des effets de a l'équivalence des forces », c'est
l'idée même de la moralité, l'idée ordinaire et qui nous était chère,
qu'il supprime.
    C'est bien là, aureste, le développement naturel de l'utilitarisme.
Commençant, avec Aristippe, par le pur hédonisme, par le simple
abandon aux attraits du plaisir présent, il est d'abord le règne de
l'appétit pur, de l'insouciance. La prévoyance, l'intelligence,
commence chez les pyrrhoniens à jouer un rôle; elle est chargée,
dans cette comédie de la vie où la nature veut que les plaisirs
physiques aient des relâches, de faire les intermèdes ; elle nous
 offre donc, comme spectacle divertissant, les contradictions de
 l'esprit humain. Epicure fait mieux : il l'emploie à dissiper les
 fausses terreurs de la superstition, à prolonger les plaisirs passés
 et à avancer en quelque sorte les plaisirs futurs par un usage adroit
 de la mémoire et de la prévision; mais il lui refuse une satisfac-
 tion que déjà, chez les esprits scientifiques, elle réclamait : de sou-
 mettre tout dans le monde à des lois nécessaires. Cette dernière
 barrière, opposée par l'égoïsme aux exigences de l'entendement,
 devait toutefois céder, l'intelligence remonter à son rang naturel
 et supérieur. C'est ce que nous la voyons faire avec M. Spencer.
 Dès lors l'individu, pris dans l'universel mécanisme, n'est qu'un
 rouage, une collection de rouages, fonctionnant avec une régularité
 absolue : ses désirs, ses répugnances, ses plaisirs, ses souffrances
  sont les effets inévitables du jeu de la grande machine; s'il aspire
  a ce qu'il nomme le bien, c'est la loi de l'équivalence des forces
  qui s'exécute en ce point du temps et de l'espace qu'il nomme son
  moi; le vice et la vertu,la fierté morale et le remords, et jusqu'aux
  exhortations du moraliste, tout cela n'est que transformations pas-
  sagères d'une certaine dose de chaleur solaire. Arrivée h cet état, qui
  est sa perfection propre, la morale utilitaire se révèle pour ce qu'elle
  est : le contraire de toute morale proprement dite, de toute science
  qui prétend imposer aux hommes leur conduite; bref, le fatalisme.