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408                 LA R E V U E LYONNAISE
   La politesse peut sans doute être exagérée et maladroite; tou-
tefois, dans la plupart des cas, on prend pour de la politesse ce
qui n'est que de la timidité ou de la peur. On peut être poli et fla-
geller les impertinents, et mépriser les sots, et démasquer les hy-
pocrites. Telle phrase polie, peut être acérée comme un dard et
faire une plaie d'autant plus douloureuse que le patient ne peut
pas se fâcher sans mettre les rieurs de l'autre côté. Combien de
traits d'esprits, d'une urbanité irréprochable, ont dégonflé la
vanité ridicule, prévenu ou puni la trahison, ou simplement corrigé
des vices, redressé des travers !
   La politesse ne supplée pas à l'intelligence, mais elle est un
heureux auxiliaire de l'esprit et fortifie l'individu, en le plaçant
sur un terrain où il est inattaquable, en lui permettant de tout
dire, sinon sans blesser, du moins sans faire crier. Une femme
d'esprit peut tout dire et tout empêcher. Un homme mal élevé dira
trop de choses, verra toujours sa parole dépasser sa pensée, et, en
voulant tout empêcher, grâce à une brutalité qu'il appelle de la
franchise, il précipitera et rendra inévitable les dénouements
fâcheux. Au fond, la politesse, c'est le plus sûr, à vrai dire le
seul moyen, de tout dire et de tout faire. Elle est l'arme la plus
solide de l'honnête homme.
   Quant au reproche d'hypocrisie fait à la politesse, inutile de s'y
arrêter. Tartuffe prend tous les masques et ne déshonore que
 lui.
   La politesse rend un peuple plus humain, dans toute l'acception
du terme, parce qu'elle perfectionne l'homme, en le fortifiant, pour
le bien, contre le mal, en lui faisant atteindre de plus en plus son
idéal de valeur intellectuelle et d'élévation morale. L'homme
n'aime en somme dans les siècles passés que l'homme lui-même,
non pas l'homme qu'il voit autour de lui, mais l'homme qu'il rêve,
l'homme qui, à force de lutter contre ses passions mauvaises, s'est
de plus en plus rapproché de Dieu, par la grandeur de son génie,
l'héroïsme de son âme, la splendide floraison de toutes les puis-
sances de son esprit, de tous les dévouements de son cœur.
L'homme aime seulement les ancêtres auxquels il voudrait res-
sembler.
   Un des malheurs de notre temps, c'est la diminution de la poli-