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                     DU BEAU ET DE L'ART                          351
la prépondérance de certains peuples dans le monde. Athènes
vaincue était plus que Sparte victorieuse, et Paris est encore la
grande capitale. D'ailleurs la science ne s'impose que lorsqu'elle
s'est revêtue des formes de l'art. Les livres bien écrits vont seuls à
la postérité. Et comme, après tout, la vraie science est la condition
fondamentale de l'art véritable, comme la science fournit à l'art
les éléments primordiaux que celui-ci devra mettre en œuvre, un
peuple d'artistes suppose un peuple de savants. Les divinations du
génie, même peu conscient de ses procédés, sont encore de la
science. Napoléon admirait la tactique des héros d'Homère, et
l'épopée homérique est aussi une encyclopédie, tout comme la sta-
tuaire est encore de l'anatomie.
   Mais, si la beauté préparée par la nature physique s'achève dans
la moralité, on s'explique difficilement l'art immoral. Et cependant
n'est-ce pas de l'immoralité le nu dans les arts plastiques ou dans
les arts qui sfadressent plus directement à l'intelligence, les doux
enivrements de l'amour, même illégitime, qui ont tant de fois inspiré
poètes, dramaturges et romanciers ?
   On connaît la solution donnée par certaines gens. A l'art moral
on a opposé l'art pour l'art. Ici encore un simple déplacement de
point de vue mettrait tout le monde d'accord et rétablirait l'har-
monie entre les exigences de la conscience morale et les besoins de
la faculté esthétique. Le nu est-il l'immoral? Nullement. La beauté
des formes est comme un voile de pudeur et de chasteté jeté par r
l'artiste sur son oeuvre nue. Si nous avons le sens esthétique suffi-
samment délicat et si l'œuvre est réellement belle, nous admire-
rons la beauté et cette admiration étouffera jusqu'en leurs racines
les appétits grossiers de notre nature physique. Ainsi nous serons
d'autant plus moraux en face du nu que nous serons plus délicats
et que l'œuvre sera plus belle. La beauté produit donc une purifi-
cation morale qui élève l'homme au-dessus de la brute d'où il
arrive. A moins d'être soi-même immoral et de transporter son
immoralité partout, pourra-t-on éprouver autre chose qu'un senti-
ment d'admiration délicate autant que puissante, qu'une émotion
esthétique aussi délicieuse que morale, à la lecture du Lac de
Lamartine, ou quand, par l'organe d'une grande artiste, la reine*
d'Espagne murmure auprès de Ruy Blas ces douces paroles :