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352                   LA REVUE LYONNAISE
 « Oh! parle, ravis-moi... » L'art véritable n'est jamais immoral,
 ou du moins il ne renferme jamais que l'immoralité que chacun
 veut y mettre. C'est même l'un des prestiges, l'un des tours de
 force, dirions-nous, que l'art sait accomplir,-que de purifier l'im-
 pureté, que de faire de la moralité avec des symboles en apparence
 immoraux, que de substituer en nous à des plaisirs grossiers des
 sentiments d'une exquise délicatesse et d'une irréprochable mora-
 lité.
    Cette étude qui nous a révélé progressivement ce qu'est la beauté
 nous a préparés à comprendre ce que doit être l'art. La beauté est
 répandue dans les systèmes de la nature ; l'art doit-il être la simple
 reproduction, le calque de ces systèmes ? On a dit que l'art est
 une imitation, cela est vrai ; mais il faut bien comprendre une
 pareille formule. L'art est une imitation, non pas seulement des
 beautés naturelles, telles que nous les trouvons toutes faites dans
 le monde, mais plus encore du procédé qui a -servi à les produire.
 Je m'explique. La nature, pour produire un chef-d'œuvre, opère
 du dedans au dehors. Toute beauté naturelle est la manifestation
 extérieure d'une force interne. L'artiste qui se bornerait à imiter
 servilement cette œuvre n'aurait qu'une froide et pâle copie, sans
 vie et sans valeur.
    La fleur, habilement imitée par une de ces ouvrières qui possèdent
 au suprême degré le talent de froisser le tulle ou de découper le
 papier, cette fleur, même parée des plus vives couleurs, est infé-
 rieure en beauté à la fleur naturelle, comme aussi à la toile d'un
 maître qui représenterait la même fleur. Un trompe-l'œil n'est pas
 un chef-d'œuvre. La beauté, c'est la vie. Et cette vie, comment
 l'artiste l'obtiendra-t-il ? En imitant le procédé de la nature ; en
 travaillant, lui aussi, son Å“uvre du dedans au dehors. Il faut qu'on
 sente qu'il y avait là une idée qui a lutté pour l'existence, qui s'est
 peu à peu affirmée et développée, qui s'est parée des symboles
 dont elle est le principe unifiant. L'Å“uvre vivra parce qu'elle a une
 pensée. Elle est belle. Dans un calque de la nature, je cherche en
 vain la pensée ; elle est dans l'objet imité. Ce calque est un cadavre,
 Il peut être bien fait, mais il est froid et sans beauté. L'artiste
, doit donc imiter la nature, mais l'imiter à fond pour être créateur
 comme elle. Les idées de Dieu sont devenues des êtres par cette