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350 LA REVUE LYONNAISE à l'autre, à cette évolution insensible de la beauté physique vers la moralité. D'ailleurs le vice n'imprime-t-il pas à la beauté phy- sique une flétrissure qui la fait disparaître ? Voyez cette courtisane. Elle a tout ce qu'il faut pour être belle. Sous son épiderme souple et poli circule encore pour quelques années un sang riche et géné- reux. Ses traits ne sont pas encore flétris par la débauche et cepen- dant le pli de sa lèvre, une foule d'indices imperceptibles suffisent à détruire sa beauté. On se sent en présence d'un masque trompeur. Dans ce regard audacieux on ne lit plus la franchise et la vertu modeste. Cette femme n'a plus de cœur, elle n'est plus belle. Elle n'est plus faite pour être aimée. Nous ne sommes plus en présence d'une beauté libre, mais bien d'un instrument de plaisir. Les Grecs ne distinguaient pas la beauté de la moralité. To xaXôJcâyaeov, c'était le beau sous sa double forme, les degrés intermédiaires de la série des choses belles, désignés par le nom des deux extrêmes. Là encore les Grecs ont fait preuve de ce sens esthétique exquis, leur plus beau titre de gloire aux yeux delà postérité. Ainsi la beauté physique s'achemine progressivement vers la beauté morale dont il semble qu'elle reçoive tout son éclat; et la beauté morale emprunte le sien à son tour à ce qui l'achève, à la perfection. Et la perfection, c'est Dieu. Être, c'est participer de Dieu ; êtrebeau, c'est en participer davantage ; être moral, c'est en parti- ciper de plus en plus. Si la beauté est une liberté, si la moralité est une liberté plus grande encore, ce ne sont pas des libertés qui nous éloignent de Dieu et qui nous en détachent. En même temps que par la beauté, les êtres s'affranchissent en quelque sorte dés forces aveugles et nécessitées qui les supportent, en même temps que par la moralité, cette expression supérieure de la beauté, nous nous affranchissons des fatalités de notre propre nature, ces êtres bpdux, toutcomme l'homme moral, s'attachent plus fortement à la perfection. L'art est au seuil delà liberté ; c'est le passage du monde physique qui tient à Dieu par ses lois au monde moral qui tient à Dieu par son amour. ' L'art est donc la préface de là religion, ce qui commence la transformation du monde, le premier soupir de la pensée vers Dieu;. Aussi l'art est-il, plus que la science, le cachet de la civilisation d'un peuple. Ce sont leurs arts plus que leurs sciences qui ont fait