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                      DU BEAU ET DE L ' A R T                       347
 doit-faire, pour qu'elle soit une coupe. Sera-t-elle belle? Certai-
 nement non. Ainsi le beau est souverainement inutile.
    Est-ce à dire qu'il faille croire qu'on peut se passer facilement
 du beau? Le vulgaire s'imagine être pratique parce qu'il mesure
 tout à l'utilité. Le vulgaire est un grand enfant qui ne se rend pas
compte de ce qu'il fait. Il n'y a pas un ustensile de ménage, il n'y
 a pas un objet usuel dans lequel on n'ait pas fait la part delà beauté,
pour lequel nous n'exigions quelque beauté. Depuis les cercles de
 cuivre et les verroteries du sauvage, jusqu'aux rivières de diamants
 de nos duchesses ; depuis les bahuts aux moulures antiques de nos
paysans, jusqu'aux meubles les plus élégants tout incrustés d'or et
 de nacre, tout trahit le besoin du beau. L'ouvrière mettra deux
 fleurs à son corsage, la grande dame y placera quelque bijou
 précieux, mais le besoin du beau s'imposa universellement. On a
 dit quelquefois : le luxe est le nécessaire de l'artiste. Nous devrions
 dire: le luxe est le nécessaire de tout le monde. Prenez n'importe
 quel objet fait de main d'homme. Eliminez ce qui est inutile, je
 vous demande ce qui restera.
    On nous objectera que la beauté n'est pas seulement dans les
 objets faits de main d'homme, qu'il y a de la beauté dans la nature,
et que cette beauté, rentrant dans l'ordre des choses, est liée à
l'univers, sert à quelque chose, a quelque utilité. C'est là une bien
fausse conception de la beauté naturelle, c'est transporter dans le
domaine delà beauté le déterminisme de la science. Or, c'est par
la beauté que la nature fait un premier pas en dehors du cercle-de
fer dans lequel semblait l'enfermer ce déterminisme, A quoi sert
une fleur? A la reproduction d'une plante? Mais qu'y a-t-il de plus
beau dans une fleur? Ce qui lui est le plus inutile : ses riches cou-
leurs. Lorqu'un système, cristal, fleur ou animal, est achevé dans
ses traits indispensables, la nature semble dépasser l'utile. Elle
semble s'affranchir de la nécessité des causes. La plante qui s'est
complétée et qui devient, par surcroît, belle, va plus loin qu'elle
n'y était obligée par les lois du monde. Elle devient libre. La beauté
est comme un cri de joie de la nature qui, en chaque système,
dépasse sa fin. Elle est comme un premier affranchissement. L'es-
clave a secoué sa chaîne, un rayon de lumineuse fierté éclaire son
regard. Il est libre, il est. beau. La rose est belle parce que, si