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348 LA REVUE LYONNAISE elle était obligée d'être la rose, elle n'était pas obligée d'être rose. Les privilégiés de France étaient beaux dans la nuit du 4 août, parce qu'Us renonçaient librement à leurs privilèges. La peur, la lâcheté,l'esclavage sont laids. La mort ne nous paraît hideuse que parce qu'elle est fatale. Le courage et la liberté sont beaux.. Le sacrifice libre de la vie est sublime. Ainsi ce qu'il y a de beau en toute chose, c'est ce qu'il y a d'inu- tile et de libre, c'est ce qui trahit une exubérance de force interne, ce qui dépasse sa fin nécessaire. Le beau, ditKant, est une finalité sans fin. En ce sens encore, et d'une façon tout objective cette fois, le beau est une manifestation de la force, non pas de celle qui s'im- pose et contraint, mais de celle qui, après s'être affranchie elle- même de la nécessité qui pesait sur elle, affranchit tout de proche en proche par son contact et par son exemple. Un objet est beau, on a eu raison de le dire, quand il dépasse son type, l'idée que nous avons de lui, le concept .que nous nous faisons de son essence. C'est ce qui explique pourquoi la beauté qui nous a tout à l'heure apparu comme la manifestation profonde de la réalité peut sembler à certains si superficielle et si accidentelle. En résumé, mettez la pensée humaine en présence d'un système dont le tout se borne à expliquer les parties ; la pensée trouvera ce système juste, exact, mais froid. Mettez-la en présence d'un système dont le tout dépasse les parties, les expliquant tout d'abord impli- citement et pouvant même expliquer quelque chose de plus, et la pensée reçoit une émotion esthétique. Plus les éléments sont simples par rapport à leur fin, plus la fin surpasse les moyens qui ont servi à la réaliser, plus elle revêt un caractère de beauté. D'où cette pensée si juste quoique insuffisamment claire: la beauté est un rapport entre la simplicité des moyens et la complexité du but. Le monde est le plus parfait possible, non pas que Dieu n'en pouvait faire un plus parfait, mais parce que, pour le faire plus parfait, il lui eût fallu employer des moyens tels que l'excès de complexité qu'eussent reçu les lois du monde, dans une création supérieure, n'aurait pas été compensé par la perfection supplémentaire qui en serait revenue à ce monde. L'univers eût alors été moins beau. Kant observe que le beau a encore un dernier caractère. Il semble devoir plaire nécessairement. Il n'en est pas ainsi. Mais