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346 LA REVUE LYONNAISE de choisir : « La musique est un travail secret d'arithmétique où l'intelligence compte à son insu ; tout en comptant sans s'en aper- cevoir, l'à me ressent néanmoins l'effet de ce travail insensible de numération qui fait naître une sensation, agréable dans l'audition des consonances, pénible dans celle des dissonances. » L'âme compte à son insu et l'émotion est la vérification instantanée dé la vérité. Comme la Pythonisse ancienne qui s'écriait: «Deus, ecce deus ! » l'à me s'écrie avant d'avoir compté, pesé ou mesuré : « Cela est vrai, parce que cela est beau ! » Kant avait mieux compris ce qu'est la matière du beau quand il disait que le beau c'est ce qui plaît sans concept. Eu effet,l'émotion esthétique précède les concepts et leur ouvre le chemin de l'intel- ligence. La conviction vient plus facilement après la persuasion. La vérité tombée d'une bouche aimée est bien plus rapidement comprise, bien plus rapidement assimilée. « Celui-là surtout sait persuader qui sait se faire aimer, dit excellemment celui qu'on nommait récemment le plus illustre des métaphysiciens contempo - rains. Rien ne se fait, en dernière analyse, sans la persuasion. Le bien,la beauté expliquent seuls l'univers et son Auteur lui-même. » Il serait donc plus juste de dire, non pas; « rien n'est beau que le vrai », mais : « toute beauté d'u:i tout suppose et annonce la vérité des détails et, comme le tout explique ses parties, la beauté explique la vérité. » Nous venons de saisir une des propriétés fondamentales delà beauté, celle d'envelopper, d'annoncer, défaire toute la vérité. Mais la matière du beau a encore une éminente" propriété. De même que l'émotion esthétique est une émotion désintéressée, de même ce qui fait l'excelle.ice de la beauté, c'est d'être souverai- nement inutile. Qu'est ce qu'une chose utile? C'est ce qui sert à autre chose, c'est ce qui n'a pas en soi sa propre fin. L'inutile, c'est ce qui n'a pas sa raison d'être hors de soi; c'est ce qui vaut par soi-même. Ce qui fait la dignité de la beauté, c'est son inutilité. Voici une belle coupe ciselée. Le fini de la ciselure et des détails, l'éclat du métal, tout cela sert-il à quelque chose? Et c'est par cela même que cette coupe est belle. Supposez-la dépourvue de ses ornements, faite de terre grossière, au lieu du métal précieux qui la compose, réduite à ce qui est strictement indispensable pour l'usage qu'on en