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DU BEAU ET DE L'ART 345 calyptus est beau, mais il y a également de la beauté dans une simple violette dissimulée sous son feuillage. L'âge viril est beau, mais l'enfance a ses grâces. Napoléon Ier était beau dans toute la splendeur de sa gloire et de sa puissance, mais il y avait peut-être encore plus de beauté chez cet infortuné duc d'Enghien qu'il faisait fusiller nuitamment dans les fossés de Vincennes. Le beau, c'est la splendeur du vrai, a-t-on encore dit : Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable. Et pourtant un théorème de géométrie n'est pas beau parce qu'il est vrai. Il y a peut-être de l'élégance, de la beauté dans sa démonstration, non parce qu'il est vrai, mais parce que, d'une vé- rité difficile à prouver, en apparence du moins, on a donné une démonstration simple, claire et facile. Il se produit alors dans l'es- prit une détente des facultés intellectuelles, et cet état comporte parallèlement une émotion esthétique. Si on analyse ce qui se passe alors dans l'esprit, on aperçoit bien vite que c'est la vérité qui est entrée en nous par l'intermédiaire de la beauté. La beauté de l'ensemble va quelquefois plus avant dans la vérité que la scrupu- leuse exactitude des détails. Un roman de. moeurs pénètreplus à fond la conscience humaine qu'une description superficielle des événements accomplis. L'historien le plus véridique est un poète encore plus qu'un chroniqueur. Certaines pages de Michelet sont plus judicieuses et plus vraies que les descriptions les plus minu- tieuses et les plus exactes d'un archéologue. Alfred de Musset a eu raison, pour bien des cas, de répondre à Boileau : « Rien n'est beau que le vrai, » dit un vers respecté; Et moi je lui réponds, sans crainte d'un blasphème : « Rien n'est vrai que le beau, rien n'est vrai sans beauté. » Cette splendeur du vrai dont on nous parle, c'est la vérité tout entière plus profondément aperçue, plus puissamment sentie. Résolvez un beau morceau de musique en ses éléments premiers et vous avez une équation d'algèbre. Mais l'ensemble r^vêt des qualités nouvelles qui surexcitent de nouvelles puissances de notre âme. Tout est dans le poids, le nombre et la mesure, disait Platon. Et Leibniz ajoutait, pour l'exemple particulier que nous venons