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352                  LA R E V U E LYONNAISE
théorique comme toute science. Elle doit analyser l'émotion esthé-
tique plutôt que la décrire.
   Est-ce à dire qu'il soit possible de parler du beau sans avoir son
attention constamment fixée sur des chefs-d'œuvre? Faut-il éliminer
de l'esthétique théorique tout élément expérimental ? On a essayé
de construire ainsi une esthétique a priori ; on a abouti à des for^
mules vaines et vides. Il faut que l'esthétique repose sur le fait
concret de l'émotion esthétique, qu'elle s'y réfère fréquemment,
mais il ne faut pas qu'elle attende tout des sens.
   Cette émotion une fois décrite ne sera pas pour cela même expli-
quée et connue. Il faudra la résoudre en ses éléments et faire appel
à ce qui seul peut expliquer la beauté, je veux dire la réflexion de
la raison.
   Pour nous rendre compte de ce qu'est la beauté, étudions donc
l'émotion esthétique et, pour restreindre notre cadre, laissons de
côté la plus grande partie de la psychologie esthétique. L'émotion
dont nous parlons a un double caractère : elle est délicieuse et
affecteuse. En présence d'un beau spectacle, nous éprouvons une
émotion calme et délicate. Les soucis de la vie disparaissent pour
un instant, l'esprit se complaît et se berce dans sa jouissance. Nous
sommes sous l'empire d'un charme indéfinissable qui nous empêche
de faire attention aux heures qui s'écoulent. Le temps semble
avoir a voir suspendu son cours, et, en réalité, les heures s'envolent
plus rapides que jamais. Nous étions tristes, nous sommes gais,
non pas d'une gaîté exubérante et désordonnée, mais sereine et
« sui compos »; Le pouvoir magique de la beauté a fait le silence
en nous ; il a pour un moment fait régner l'ordre dans notre cœur
et assoupi les antagonismes de nos tendances contraires. Ce plaisir
calme et ordonné qui nous soustrait en apparence à la succession
du temps, qui semble nous faire vivre de la vie de l'éternité, est
une émotion délicieuse. Voilà pour le côté tout intérieur de l'émo-
tion esthétique. Mais, en outre, nous nous, sentons attirés vers la
beauté, nous entrons en communion de nature avec elle; nous vou-
drionslui rendre le bonheur qu'elle nous procure, et, plus l'émotion
esthétique est puissante, plus cette attraction, cette sollicitation
devient irrésistible. No us nous détachons de nous-mêmes, les bar-
rières de l'égoïsme tombent et, dans une effusion toute mystique