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                      DU BEAU ET DE L'ART                           343
 d'un amour de plus en plus puissant, nous aspirons au sacrifice ;
nous irions jusqu'à l'extrême limite du renoncement, nous serions
prêts, autant que nous en avons le pouvoir, à faire abnégation de
notre propre personnalité.
    C'est ainsi que nous réagissons par l'amour sur ce qui nous a
procuré le bonheur et que, dans l'émotion esthétique, on retrouve à
la fois le bonheur qui nous met hors du temps et l'amour qui nous
transporte presque en dehors de notre personnalité. Ainsi s'expli-
quent le ravissement et le désintéressement qui sont les caractères
essentiels de toute émotion esthétique.
    Cherchons maintenant à saisir ce que peut, être en elle-même la
matière de la beauté. Elle nous est donnée dans des objets indivi-
 duels, mais elle se distingue de ces objets. Si la matière de ces
objets et la matière de leur beauté étaient une seule et même chose,
chaque partie d'un objet serait belle comme l'ensemble. Or cela
n'est pas. La matière d'un objet, c'est ce que, dans la connaissance
de chacun des éléments de cetôbjet, nous n'avons pas mis. La ma-
tière de la beauté d'un objet, c'est ce que, dans la beauté de cet objet
pris en totalité, nous n'avons pas mis. C'est bien encore là une ma-
tière, du non-moi, mais cela n'est plus ce que nous appelons abso-
lument la matière, c'est-à dire, ce par quoi nous connaissons les
choses. Autre est la matière de la connaissance, autre est la matière
de la beauté. La matière de la beauté est tout entière dans l'har-
monie d'un système ; la matière de la connaissance se retrouve
jusque dans les éléments atomiques des corps.
   Mais si la matière de la beauté n'est point celle de la connais-
sance, celle-là a besoin de celle-ci comme d'un support. Que serait
la beauté d'un objet inconnu ? Et la connaissance d'un objet enve -
loppe celle de tous ses éléments, sinon jusque dans les détails d'une
analyse parfaite, du moins d'une manière suffisamment analytique.
Précisons par un exemple. Parmi les différents objets d'art que
j'ai réunis dans mon cabinet de travail, j'ai là, sous les yeux, la
 reproduction d'un chef-d'Å“uvre du salon de 1863 : le buste de
BiancaCapello par l'éminente artiste qui se déguisait sous le pseu-
 donyme de Marcello. Mon émotion esthétique a bien pour condition
l'attention que j'accorde à ce profil hautain, à cette lèvre légè-
 rement dédaigneuse, à ces musclesfidèlementobservés et justement