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LA MORALE ANGLAISE 205 M. Guyau ne l'entend pas ainsi. Certes, moins que personne, il n'est dupe de l'artifice des utilitaires pour nous faire prendre, en échange denos idées de liberté, d'obligation, de responsabilité, etc., des « équivalents », de leur fabrique à eux. Voûte cette contre- façon le séduit peu; il en connaît le secret, il en divulgue les pro- cédés de manufacture. Mais ce sont là , aux yeux de M. Guyau, les parties à sacrifier dans l'utilitarisme; et on peut les sacrifier sans préjudice pour les principes essentiels ; la part du feu ainsi faite, restera une grande vérité : c'est que l'homme dans la nature n'est point un être séparé, que sa loi n'est point faite pour lui seul, mais qu'elle s'applique à tous les êtres ; que la moralité se trouve déjà ébauchée avant nous, que nous avons simplement à poursuivre le progrès commencé par la nature. Seulement ce progrès, suivant lui, c'est un vrai progrès, non une évolution interminable et sans but ; cette route est une route ascendante, et dont la direction n'est pas déterminée seulement par les points déjà parcourus, mais par le point à atteindre, ce point étant dès le début posé et entrevu ; cette loi universelle, enfin, c'est un idéal dont rêve la nature entière. Car au fond de tout est l'idéal. Pourquoi le monde est-il ce qu'il est? Les utilitaires nous disent en vain que le présent vient du passé, et que le monde est à l'état où nous le voyons parce qu'il a été auparavant en un certain autre état. Ce n'est pas là répondre. Nous entendons le pourquoi en un autre sens, et à ce pourquoi, qu'ils ne sauraient nous empêcher de nous poser, il n'y a qu'une réponse: C'est pour quelque bien idéal. Or, si les êtres n'ont d'autre raison d'exister que de pouvoir poursuivre un idéal, ils sont libres : car la liberté c'est ce pouvoir-là même. Tous ont donc, à des de- grés divers, ce qui fait notre essence, à nous hommes. En résumé, à l'évolution extérieure, dont les formes sont si variables, corres- pondrait une tendance, une aspiration intérieure, éternellement la même et travaillant tous les êtres. Tous auraient un même but. Ce but, ce serait le développement de toutes les puissances conte- nues en chacun d'eux, et comme conséquence, l'union de tous avec tous, la concorde, l'harmonie, ou encore, pour employer le mot le plus compréhensif possible, l'universelle liberté. Ainsi s'achève la conciliation de la morale idéaliste avec l'utilitaire : « Par là se