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LA MORALE ANGLAISE 201 idée de douleur, une répugnance ; et, finalement, c'est l'injustice elle-même qui nous fait horreur. — D'abnégation, de renoncement définitif aux joies de la vie? Mais c'est le conseil même de la sagesse utilitaire; car, « vu l'état présent du monde, il n'est pas de meilleur moyen, pour obtenirtout le bonheur qu'il est possible d'atteindre, que d'avoir la conscience de pouvoir s'en passer. Rien de tel pour nous affranchir de toute inquiétude excessive au sujet des maux de l'existence. » « Le seul moyen d'atteindre le bonheur est de n'en pas faire le but de l'existence, de s'absorber dans d'autres re- cherches, de le respirer avec l'air sans y penser, sans le mettre en fuite par une fatale manie de le mettre en question. » — De dignité morale? Il n'y a que les hommes incomplets, incapables des jouis- sances nobles, qui puissent préférer les plaisirs bas. Quiconque est en état de faire la comparaison préfère les plus délicats. « Mieux vaut être un homme malheureux qu'un cochon satisfait. » Que peut réclamer de plus la morale idéaliste? La doctrine de l'in- térêt n'a rien à lui refuser. Si même il lui faut une religion, on en aura une ; il n'est besoin que d'une éducation convenable, pour persuader aux hommes que le vrai bonheur c'est de se dévouer à l'humanité, de l'adorer, de se sacrifier à la réalisation d'un état idéal et qu'on ne verra pas, où toute méchanceté ayant disparu, tous s'entr'aimeront ; quelques associations d'idées, adroitement forti- fiées, y suffiront. Ainsi le service du genre humain prendra sur les hommes le pouvoir psychologique d'une religion, et même le plus grand ascendant qu'ait jamais exercé aucune religion n'en sera que le type et l'avant-goût. » Toutefois ces ingénieuses acalyses ont le défaut d'être encore sujettes à discussion : tant qu'elles ne sont pas réunies en un corps de doctrine, rattachées à quelque principe commun, dans leur état d'isolement, elles demeurent exposées à mille reproches. Aussi voit- on les contemporains de Stuart Mill, les Bain, les Bailey, les Lewes, dépenser beaucoup d'esprit à les compléter, à les consolider (ils le croient)par mille petites additions. Un Darwin, au contraire, laisse là cet interminable ravaudage ; il va au fond de toutes ces explica - tions, il découvre l'idée qui les soutient toutes, et ne songe qu'à fortifier cette idée. Quel était le procédé constant de Stuart Mill, en face d'un fait moral à expliquer? Il allait, dans les bas-fonds de -MARS 1882. — T. III 14 ,