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200 ' LA REVUE LYONNAISE kintosh et James Mill sentent ce qu'il y a d'artificiel dans l'homme de Bentham, toujours calculant, et portant, à la place du cœur, un livre de comptes en partie double. Eux, au contraire, à l'aide de l'habitude, qui rend les calculs d'intérêt à la fois rapides et incons- cients,à l'aide de l'association, qui nous fait machinalement aimer pour lui-même l'intérêt des autres, à force de l'avoir aimé par rap- port au nôtre, ils restituent à l'homme la spontanéité et la faculté de se dévouer. Dès lors la morale anglaise est en possession de tous ses éléments. Stuart Mill est, en effet, bien éloigné de l'esprit despotique de Bentham : jamais philosophe fut plus accueillant ; toutesles thèses de ses adversaires les idéalistes, il les admet, toutes; les notions du sens commun, de la morale vulgaire trouvent dans sa doctrine l'hospitalité la plus facile. M. Guyau admire cette humeur accom- modante: c'est aussi de la conciliation, cela ; mais la conciliation, il faut bien le reconnaître, coûte peu de frais à Stuart Mill. Il ne rejette aucune doctrine, aucun fait; c'est qu'il préfère les. absorber; introduits dans son système, ils s'y déforment étrangement et ne signifient plus que ce qu'il lui plaît. A quoi bon nier, dès lors, quand il est si aisé de dénaturer? Les adversaires de l'utilitarisme croient-il, par exemple, avoir le privilège de parler de liberté mo- rale? Stuart Mill la reconnaît aussi bien qu'eux ; les circonstances font notre caractère, sans doute ; mais notre caractère, une fois créé, devient une force propre qui soustrait en partie nos résolu- tions à l'action des circonstances : en vain alors des désirs nou- veaux, plus violents en apparence, s'opposent à lui, il en triomphe, il reste le principe le plus constant de notre conduite; dès lors nous sommes les agents intermédiaires de nos actes; et voilà la liberté! S'agit-il de vertu désintéressée? Mais on lui fera une place! L'avare, après avoir aimé l'argent pour les plaisirs qu'il peut procurer, ne tinit-il pas par aimer l'argent lui-mé;ne? Ainsi l'homme de bien, après avoir « pratiqué la vertu parce qu'elle pro- duit les plaisirs, finit, grâce à cette association, par la regarder comme un but en elle-même ». — De remords ? Personne ne l'expli- que mieux. Le mal que nous causons à autrui finit par nous revenir, grâce à la solidarité des intérêts, grâce aussi à la sympathie ; à l'idée de l'injustice commise s'associe donc, à la longue, une vague