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                     LA MORALE ANGLAISE                             197
méthode inductive et la méthode intuitive. La morale intuitive
croit en un idéal vers lequel aspire toute réalité : cet idéal dépasse
le monde, puisque le monde y est, comme dirait Aristote, suspendu;
il échappe à toute expérience ; il est comme un beau rêve, auquel
il nous faut conformer notre vie. Telle est, réduite à son principe,
la morale chère à la plupart des philosophes français. Rien, au
contraire, ne répugne davantage à l'esprit anglais que cette morale
fondée sur une« fantaisie »; elle est « simple affaire, dit Bentham,
« d'humeur, d'imagination et de goût. » La morale anglaise, au re-
bours, est inductive; « elle prétend reposer seulement sur des
faits etdes lois physiques... elle tire ce qui doit être de ce qui est. »
 C'est une morale « essentiellement naturaliste ». Or, « la nature a
placé le genre humain sous l'empire de deux grands maîtres : la
peine et le plaisir. Nous leur devons toutes nos idées, nous leur
 rapportons tous nos jugements, toutes les déterminations de notre
vie. Celui qui prétend se soustraire à leur assujettissement ne sait
 ce qu'il dit. » C'est en ces termes que Bentham pose le principe de
 la morale utilitaire ; ses successeurs y resteront fidèles. « Donnez -
 moi, dit Bentham, donnez-moi les affections humaines, la joie et la
 douleur, la peine et le plaisir, et je créerai un monde moral. Je pro -
 duirai non seulement la justice, mais encore la générosité, le pa-
 triotisme, la philanthropie et toutes les vertus aimables et sublimes
 dans leur pureté et leur exaltation. » Voilà le programme entier
  de l'école anglaise en morale.
     Ce programme, Bentham y satisfait à sa façon. Tout homme,
  selon lui, cherche son intérêt. Nous allons au plaisir par une pente
  naturelle. Mais peu sont capables d'avoir sans cesse sous les
  yeux leur vie entière, cette vie où il s'agit d'accumuler le plus de
  plaisir possible au prix du moins de souffrances possible; peu savent
  suivre par la pensée les conséquences de chaque résolution, dresser
  le bilan de ces conséquences, et, tout calcul fait, déclarer bonne et
  adopter la décision qui promet un maximum d'effets agréables pour
  un minimum de sacrifices. Les uns, sottement, rejettent le plaisir
  qui s'offre, sous prétexte d'en faire profiter autrui, sans avoir cal-
  culé si leur sacrifice n'était pas plus douloureux encore pour eux
   qu'il n'est avantageux aux autres : ce sont les hommes désinté-
   ressés, c'est-à-dire, le plus souvent, des être « légers et insou-