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                 1S, LA VILLE DU ROI GRALLON                      187
 alors, mais alors seulement, Dieu arrêtera l'Océan et te permettra
 de te repentir. » Grallon n'entendait pas'; fou de douleur, il frappa
 son cheval et le poussa en avant ; un éclair déchira la nue, un cri
 atroce retentit : foudroyée, Dahut gisait aux pieds du coursier qui
 repartait emporté. Et aujourd'hui encore les flots, à la marée
 montante, viennent recouvrir un vaste marécage, dont le nom,
 comme la légende, s'est conservé à travers les âges. Le paysan
 breton se signe en passant devant le Toul-Dahut (le trou de
 Dahut). C'est là qu'est tombée la princesse.
    Nous revenions surMorgate assezimpressionnésparcettelégende,
 lorsque, passant à l'arrière d'un cutter de plaisance, nous enten-
 dîmes des voix connues qui partaient du bord. Reconnaissant le
 « Triton », nous hélâmes son propriétaire, un de nos amis, qui
  nous proposa de nous ramener à Brest, et, après avoir payé notre
 pêcheur, nous montâmes à bord, heureux de ne pas avoir a revenir
par le chemin montagneux du matin. Une heure après, nous cour-
rions des bordées dans la baie, et bientôt nous doublions le cap de
la Chèvre, gouvernant sur la pointe du raz d'où, en virant de
bord, la brise nous permettrait de cingler vers le phare du Minou
en plein goulet de Brest. Le vent avait fraîchi et la mer devenait
houleuse ; elle se brisait avec des flots d'écume contre les rochers
de la côte, et l'écho faisait parvenir assourdi jusqu'à nos oreilles
le grondement des vagues dans la baie des Trépassés. Bientôt la
nuit se fit et ne nous permit plus d'apercevoir que les flots battant
d'une façon sinistre les flancs de notre bateau et, au loin, devant
nous, le feu de l'île de Sein, éclairant l'entrée du raz. A notre
bruyante gaieté avait succédé insensiblement un silence profond;
le sentiment de notre faiblesse en face de l'Océan nous envahissait,
nous nous rappelions cette prière du pêcheur breton : « Mon Dieu,
protégez-moi, la mer est bien grande et ma barque est petite! » Et
il nous semblait, dans le fracas éloigné des vagues s'émiettant contre
les récifs, entendre, selon le dire de nos marins, les plaintes des
âmes des pêcheurs morts en mer, errant chaque nuit dans la baie
des Trépassés gémissantet demandant la sépulture en terre sainte.
                                         MAURICE RAMEY.