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A PROPOS D'UNE TRADUCTION D'HORACE 21 frein du rythme et de la mesure. Voici la déesse qui visite l'étroit logis du poète, inspecte son modeste ménage et fait l'inventaire de . son mobilier. Jusqu'à ce jour, elle ne s'était jamais hasardée hors des temples et des palais, hors du théâtre ou du forum. Elle n'osait nommerqueles choses de la religion, delà politique, de la guerre. Sa langue admet aujourd'hui tout ce qui ne dépare pas la conversation des honnêtes gens ; elle trouve tous les sentiments, toutes les idées, tous les mots assez nobles pour entrer dans les vers, s'ils sont vrais et s'ils sont agréables. C'est déjà une sorte de réalisme tempéré, comme il doit l'être, par ce besoin d'élégance inné chez les anciens et qui marquera toujours les vrais poètes. Dans tous les cas, cet avè- nement de la poésie familière, après la poésie religieuse, après la poésie héroïque; ce règne de la muse tout humaine, après la muse divine, c'est une révolution, non pas seulement dans la poésie, mais dans l'esprit humain. L'Épitre d'Horace est le plus ancien, elle est restée le plus par- fait monument de cette révolution. Pour forcer la muse à passer, avec toutes ses élégances, dans ce nouveau monde de la vie intime et personnelle du poète, pour élever à l'état de poésie les senti- ments, les causeries, tous les détails de la vie usuelle, il fallait plus de génie que pour imiter Pindare et pour transporter artificiel- lement dans la langue latine les rythmes inventés parles lyriques delà Grèce. Voilà l'œuvre d'Horace. Quand il chante, c'est un imitateur des Grecs, c'est un poète de seconde main, qu'on nous passe le mot. Quand il cause, c'est un inventeur, c'est un maître qui régit encore une large part, et la plus charmante peut-être, de notre poésie à nous. Cette poésie n'est plus une création spon- tanée du génie populaire ; elle n'est plus l'œuvre d'une sorte de barde inculte et inspiré, écho presque involontaire et fatal des sen- timents de sa race : c'est une poésie voulue, réfléchie, composée avec art; nous dirions cherchée, si le mot n'impliquait pas l'ab- sence de naturel. Or, pour être prise à d'autres sources, à des sources plus humbles, plus voisines du cœur de celui qui chante, cette poésie familière n'est-elle pas aussi vraie, ne semble-t-elle pas plus naturelle encore que la poésie des armées ou des sanc- tuaires? L'une et l'autre sont vraies, car l'homme est un être hé- roïque et religieux, toutaussi sincèrement qu'il est un fils, un père,