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338                  LA REVUE LYONNAISE
le paysage le plus maussade, les objets les plus vulgaires, les mu-
railles les plus froides et les plus nues.
    Tous les genres de beauté que nous venons de décrire rapide-
ment constituent ce que nous pouvons appeler les beautés natu-
relles. Il yen a d'autres que l'homme sait produire. Celles -ci sont
peut-être plus discutées et moins généralement goûtées. Il faut une
certaine éducation esthétique pour trouver la beauté et pour la sen-
tir dans les productions de l'art humain.
    Pour bien des gens un beau tableau ne se distingue pas d'un
 grossier « chromo » ou d'une estampe enluminée de couleurs
 criardes. Un tableau pour eux n'est qu'un peu de peinture sur de la
 toile. On connaît l'épisode du consul qui expédiait à Rome les ta-
 bleaux enlevés dans Cdrinthe. Demandez à un paysan si la Vierge
 de son.église, toute recouverte de bleu, de rouge et de dorure ne
 lui plaît pas plus, n'est pas plus « brave », comme il dirait dans sa
 langue naïve, qu'une des plus belles statues de nos musées? Essayez
 de faire sentir, je ne dis pas à tout le monde, mais à un musicien de
 quelque bruyante fanfare de village ce qu'il y a de beau dans cer-
 taines pages de nos meilleurs opéras ; il préférera de beaucoup tel
 ou tel pas redoublé bien sonore et bien « enlevant », dont l'exé-
 cution exige un puissant déploiement de poumons, de cuivres et de
 tintamarres, et remplit bien l'oreille.
    Il en sera de même pour le théâtre, pour la poésie et pour tous
  les arts. Les savantes évolutions d'un corps de ballet ne valent pas,
 pour beaucoup, la farandole et la bourrée de nos campagnes ou les
 quadrilles désordonnés d'un bal de barrière.
    Ainsi, tandis que la beauté naturelle est accessible à tout lemondé,
 la beauté artistique, à mesure qu'on s'élève dans le domaine dé
 l'art, voit se restreindre le cercle de ses véritables admirateurs.
 Cette règle n'a cependant rien d'absolu. Il y a !des chefs-d'œuvre
 de l'art humain qui sont à la portée de tous et qui produisent sur
 tout le monde un puissant effet. Les délicats seuls, dans ce cas,
 semblent avoir quelque peu le privilège de se soustraire à l'émotion
 générale.
     Quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse de beautés naturelles ou de
 beautés artistiques, que ces beautés produisent chez tous les
 hommes ou chez quelques-uns seulement des émotions esthétiques