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                      LA MORALE ANGLAISE                     -     203
 l'univers qu'elle nous propose pour but, et comme ce but est loin
 d'être atteint, c'est à un idéal lointain qu'elle nous commande
 de nous sacrifier. Voit-on à présent quel pas immense nous avons
 fait vers la morale de la raison, qui ne veut, en somme, que
 soumettre l'homme à une loi universelle, l'obliger envers un
 idéal supérieur de justice, et pour cet idéal lui faire oublier ses
 rêves égoïstes de bonheur ? Encore une concession et" les deux
 partis pourront se donner la main. .
    M. Guyau le croit, du moins. Quelque esprit difficile et moins
 sensible aux ressemblances par lesquelles les systèmes ont l'air
 prêta se confondre, qu'aux différences par lesquelles ils continuent
 de vivre d'une vie propre, se laissera peut-être plus malaisément
 persuader. Non pas que l'on puisse songer après lui à refaire l'his-
 toire de la morale anglaise : on ne. pense même pas, en le lisant, à
 imaginer rien de plus irréprochable, de plus visiblement vrai, que
 cet exposé, où l'on sent à chaque instant sous ses pieds les textes
 originaux, et où, dans les intervalles, on se sent porté et comme
 inspiré par l'esprit des auteurs.. Il est même une doctrine, celle de
 M. Spencer, que M. Guyau a dû, par un coup d'audace, se hasar-
 der à construire avant l'auteur lui-même, à l'aide seulement des
 matériaux que celui-ci avait préparés dans ses précédents ou-
 vrages, et M. Spencer n'a point renié cette esquisse anticipés de
 sa doctrine; il s'y est, dit-on, reconnu sans hésiter. Mais, plus
l'exposé historique de M. Guyau est fidèle, plus lé lecteur se croit'
autorisé à l'interpréter à sa façon. Dans le développement de l'utili-
tarisme, M. Guyau ne voit qu'un agrandissement de l'idéal moral :
tel autre y verra, tout au contraire, le mouvement de concentra-
tion, et, comme dirait un évolutionniste, l'intégration d'une doc-
trine qui rejette ou s'assimile totalement tout élément étranger, et
se réduit à son idée essentielle, à savoir la théorie déterministe.
Certains préféreront les rudes négations de Bentham aux ingé-
nieuses explications de -Mill. On peut se trouver plus à l'aise et
plus respecté, en somme, enfaced'un homme qui se déclare inca-
pable de vous comprendre et qui vous juge absurde à son sens,
que devant un de ces conciliateurs trop habiles qui vous emprun*-
tent subtilement vos idées : entre leurs doigts elles fondent, et quand
ils vous en rendent la monnaie, vous ne trouvez jamais votre compte.