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184                   LA REVUE LYONNAISE
douce, des odeurs suaves et pénétrantes, des peintures lascives
faisant de cette salle le vrai temple de la déesse de la débauche et
de l'orgie, annihilaient l'âme et faisaient ressortir la toute-puis-
sance du corps. L'étranger ne sembla s'apercevoir ni du lieu où il
entrait ni de ceux qui l'entouraient; son œil noir se fixa sur la
princesse et Dahut tressaillit. D'un mouvement plein d'une grâce
féline, elle lui indiqua un siège à sa droite, et, lui faisant porter un
luth : « Chante, » balbutia-t-elle, troublée par ce regard qui sem-
blait pénétrer jusqu'au fond de son être. Le barde se dépouilla de
son longmanteau et apparut soudain dans toute sa singulière beauté.
C'était un jeune homme grand, svelte, aux traits d'une pureté irré-
prochable ; sa chevelure brune avait des reflets bleuâtres et des
flammes passaient dans ses yeuxquandilles attachaitsur quelqu'un ;
de toute sa personne émanait une puissance attractive extraordi-
naire que combattaient un rictus sardonique errant toujours sur les
lèvres et l'effet terrifiant produit par la profondeur du regard.
   Il accorda son luth et se mit à chanter :
   « Le vent mugit sur la falaise ; le faîte des sapins s'abaisse avec
« des craquements sinistres et la lame menace à chaque instant
« d'engloutir la barque du pêcheur ; il vogue cependant joyeux ; il
« pense à sa bien-aimée.
   « La tempête a augmenté de violence ; semblable à un grand.
« oiseau, le mât, brisé par le vent, vient de s'envoler avec la voile,
« le pêcheur s'est mis en chantant aux avirons; il pense à sa
« bien-aimée.
   « Devant lui s'ouvre le port, il passe et disparaît dans la tour- •
« mente. La-bas, au-dessus des récifs, brille une lueur; c'est la
« demeure de Gaëlle; à ses pieds, la mer se brise en écumant ; le
« pêcheur s'y dirige gaiement ; il pense à sa bien-aimée.
   « Soudain une vague immense submerge la barque, le pêcheur
« sanglant, se cramponne aux rochers de la grève, son navire est
« perdu, son sang coule : la douleur n'attriste pas son visage; il
« pense à sa bien-aimée.
   « Enfin il franchit le seuil, il va mourir ; mais la main adorée lui
« fermera les yeux. Il pousse un grand cri et tombe. Il a vu Gaëlle
« dans les bras d'un autre ; dans son regard sanglant et fixe, il
« semble qu'il pense encore à la bien-aimée. »