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170                  LA R E V U E LYONNAISE
soudainement par un homme de génie. On redit complaisamment
que ce mortel privilégié a saisi, résumé, exprfmé la pensée de toute
une génération. Il passe aussitôt grand homme, même demi-dieu,
et ne manque, en cette qualité, ni d'adorateurs empressés, ni d'imi-
tateurs, ni même de plagiaires.
   Mais le temps marche et la foule avec lui. Une inexorable néces-
cité pousse vers la route tracée par le temps les générations qui
ne peuvent s'arrêter en chemin. Avançons. Déjà l'écho s'affaiblit.
Encore quelques pas, et les circonstances providentiellement favo-
rables n'existent plus. La voix du poète ne rencontre plus d'écho
et son organe n'est pas assez puissant pour dominer une foule si
la nature complaisante n'a pas tout disposé pour donner à sa voix
une force d'emprunt et un retentissement inattendu. Ils sont rares
les hommes de génie qui forcent leurs contemporains à les écouter
pendant un demi-siècle. Le grand poète improvisé n'a donc pu
retenir que pendant une halte bien courte ses contemporains sous
le charme de sa voix. Il en reste un souvenir, une trace; c'est quel-
 que chose, sans doute. Mais de telles poésies ne sont qu'un docu-
ment de l'histoire littéraire et non le monument d'une littérature.
 Elles témoignent de l'esprit d'un temps, des engouements ou des
préoccupations d'un jour. Elles attestent un noble effort ou parfois
révèlent une bonne action. Mais elles étonnent toujours un peu.
 quand on les retrouve, et pour les juger d'un seul mot, elles ont
 pour lecteurs les plus empressés les historiens et les critiques. Si
 elles font encore parfois baïtre quelques cœurs, c'est sous les che-
 veux blanchis des derniers survivants d'une génération en train
 de disparaître, et qui ravivent, en tournant ces pages délaissées,
 les enthousiasmes ou les amours de leur jeunesse.
    Tel a été Auguste Barbier, l'un des hommes dont tout le monde
 a retenu quelques vers, et dont presque personne ne connaît ni
 les oeuvres ni la biographie. Deux fois, il aura eu les' honneurs
 d'une résurrection dansl'opinion publique et fait feuilleter au public
 lettré, ou qui prétend rêtre,les pages du Dictionnaire des contem-
 porains. La première de ces exhumations d'une popularité bien
 déchue eut lieu en 1869, lorsqu'il remplaça à l'Académie française
 M. Empis, une autre célébrité de quelques jours, bien et dûment
 enterrée dans un fauteuil d'immortel. On raconte à ce propos que