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LA NOBLESSE EN FRANCE. 333
De nos jours, le talent, le courage, l'intelligence et la
fortune constituent des aristocraties réelles et des puis-
sances positives qui vont de niveau avec les illustrations
de race. Le mérite personnel est devenu un talisman qui
ouvre toutes'les portes, un passeport qui conduit à tout,
un bill d'indemnité contre toutes les défaveurs de la
naissance. Dans les salons les plus aristocratiques, vous
voyez les fils de ducs et pairs s'effacer avec un certain
respect devant le grand artiste, le grand général, le grand
écrivain, le grand politique et même le grand industriel,
quelque obscur que soit leur berceau. C'est bien là le
vrai critérium de la transformation des idées en matière
d'aristocratie. Il fut un temps où un grand seigneur
ignare et orgueilleux croyait honorer une célébrité en
daignant lui adresser la parole ; aujourd'hui, le descen-
dant de ce seigneur attend et recherche avec déférence
l'entretien d'un plébéien devenu illustre. Le fait le plus
caractéristique en ce genre est ce qui se passe en fait
de mariages. Il n'est pas rare de voir des filles de grande
noblesse épouser des hommes sans naissance, mais qui
se sont fait un nom honoré et glorieux. Se faire un nom !
conçoit-on tout ce que renferme ce mot magique! Il suffit
pour électriser les âmes généreuses. Se faire un nom,
c'est se venger du hasard de la naissance et du caprice
de la destinée. La gloire devient l'équivalent de la race,
tout est là . Cet équivalent est plus que toléré; il est ad-
mis avec faveur. Cela seul résume et éclaire la transfor-
mation qui s'est faite dans les mœurs. Soqs l'ancien
régime, rien n'aurait pu combler l'abime qui séparait
la fille patricienne du mérite plébéien.
Mais il n'en reste pas moins vrai qu'au milieu de cette
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