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DE LA POÉSIE. 133 traduire et exprimer les sentiments qui le dominent. L'a- mour, la terreur, la joie, l'espérance, la mélancolie, la haine, saisissent ardemment ses embryons aériens pour y incarner leurs passions. Elle s'assimile mieux que la poésie à la ten- dance intime des générations actuelles qui, submergées plus que jamais dans la tempête des intérêts, des passions, des grandes affaires, de la politique, des ambitions, des plaisirs, des dissipations de tout genre, éprouvent le besoin impérieux de jouissances très-fortes et très-entraînantes, pour faire di- version à toutes ces tyrannies sociales. La poésie exige, au contraire, pour être goûtée, une vie calme et mesurée, des habitudes recueillies et studieuses, le silence du cabinet ou des campagnes. Elle paraît pâle, in- colore et fastidieuse aux organisations habituées à se mou- voir dans le tourbillon vertigineux de l'activité moderne. Ainsi donc, il est constant que la poésie traverse de nos jours une ère de marasme et de malaise dont nous croyons avoir signalé les véritables causes. Mais notre devoir est aussi de rechercher si sa mort est définitive, s'il ne lui reste aucun espoir de renaissance et de résurrection plus ou moins prochaines. Or, à cela nous répondons avec une entière confiance que, nouveau phénix, elle renaîtra certainement de ses cendres. A quand celle résurrection ? Nous ne pouvons le préciser ; elle peut être encore lointaine, mais elle aura lieu inévitablement. La poésie est une des formules immor- telles, nécessaires, essentielles du beau, de l'idéal : elle peut sommeiller, mais mourir, non. Le nombre, le rhythme, la cadence, appartiennent à l'es- sence mystérieuse dans laquelle se meuvent les forces di- vines de l'univers. Le vers est ancien comme le monde. Il s'échappa des mains ouvertes de l'Être souverain, au jour delà création, et s'élança dans les espaces avec toutes les