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354 LA NOBLESSE EN FRANCE.
fusion intelligente et réciproque de toutes les aristocraties,
il -en est une qui a gardé le pas sur toutes les autres,
et dont le prestige est indélébile ; c'est la noblesse titrée,
la noblesse positive, la noblesse de race. On a beau la
traiter de préjugé et de puérilité, et émousser contre elle
les flèches du ridicule, elle n'en demeure pas moins une
arche sainte vers laquelle convergent des milliers de dé-
sirs etxl'ambilions. Tout railleur en cette matière me fait
l'effet du renard de la fable dépréciant le raisin qu'il ne
peut atteindre. Tel homme, rassasié de fortune et de re-
nommée, mourra de dépit pour n'avoir pu manger de ce
raisin.
C'est précisément cette soif ardente de s'anoblir qui a
engendré à notre époque cette maladie que nous avons
qualifiée autre part de titromanie, créant ainsi, pour dé-
signer ce débordement, un néologisme analogue à celui
par lequel Piron caractérisa la manie de rimer (métro-
manie). Des milliers d'affamés s'efforcent chaque jour,
par de vrais tours de gobelet, de se tailler une petite
portion dans le gâteau aristocratique ; le Bourgeois-Gen-
tilhomme est tiré maintenant à cent mille épreuves ;
Turcaret, Brid'Oison et Georges Dandin veulent abso-
lument et partout être titrés. Il faut certes bien qu'une
chose qui provoque tant de convoitises et tant d'insom-
nies soit une puissance réelle et incontestable avec
laquelle il est bon de compter. La comédie actuelle est
pleine de types pris sur nature de ces pourfendeurs de
la noblesse qui s'humanisent et s'accordent dès qu'un
noble ruiné veut s'associer aux écus de leurs filles.
Quelle étrange fascination exerce donc ce prétendu
hochet pour amener de tels résultats? Vanité, dit-on.