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                        DE LA POÉSIE.                      147

ment altéré et détérioré dans les masses, et ne se manifeste
plus que parla lecture des journaux, celle des romans, et,
dans une mesure plus restreinte encore, par la fréquentation
des théâtres purement littéraires. Et l'on peut même dire, en
ce qui concerne le roman, qu'il sert plus souveut à tuer le
temps en wagon et à distraire l'insomnie sur l'oreiller, qu'a
occuper les loisirs du salon ou du cabinet.
   Le culte du plaisir purement physique tend de plus en plus
5 délasser, à l'exclusion de tout autre, les générations fati-
guées de leurs travaux législatifs, mercantiles et industriels.
Le club, le ballet, la table, les boudoirs faciles, comportent,
pour l'homme affairé, presque toute la somme de jouissances
qu'il songe à demander à la vie. La soif des choses éternelles
ne le presse et ne le tourmente plus : c'est un mal qui lui est
inconnu. Les hommes d'autrefois, même ceux d'hier, étaient
moins faciles à satisfaire, ils avaient besoin de retremper
leurs âmes dans les hautes et sereines régions de l'esprit. Ils
étaient comme nous, marchands, financiers ou hommes de
loi ; mais mieux que nous, ils savaient faire trêve aux occupa-
tions professionnelles et quitter les vallées malsaines pour res-
pirer l'air vivifiant des sommets. Plus que nous, peut-être, ils
étaient passionnés pour le plaisir, mais ils savaient toujours
l'associer à l'esprit et l'orner de ces grâces horatiennes, dont
la tradition ne s'était pas perdue depuis Tibur.
    Aujourd'hui, il n'en est certes pas ainsi ; le fait en est
constant, palpable. L'instinct et le tempérament littéraires
ont disparu de l'air ambiant. Il semble que le souffle venu
des comptoirs, des usines, des prétoires et de la Bourse, soit
atrophiant et porte sur son aile les germes de la mort intel-
lectuelle. Les rayons malsains du veau d'or ont desséché '
Yhumus spirituel de l'humanité ; la faim saturnienne et inas-
souvissable du bien-être et des richesses a arraché de cet
humus les racines vivaces de l'idéal ; l'aimant des âmes a