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» DE LA POÉSIE. 145 ne retentissent plus, comme autrefois, du bruit des vers, et il ne vient jamais à une maîtresse de maison l'idée défaire en- tendre une belle ode ou une idylle bien faite entre une sonate de Beethoven et une partie de whist. Autrefois, il n e n était pas ainsi; il manquait quelque chose à une soirée quand les Muses en étaient absentes. On ne rencontre plus aujourd'hui, comme jadis dans toutes les professions, de ces hommes éru- dits et lettrés, qui avaient au service de leurs amis et des so- ciétés qu'ils fréquentaient, un répertoire de beaux vers qui tombaient comme des perles de leurs lèvres chaque fois qu'elles en étaient sollicitées. Enfin , les poètes eux-mêmes , pénétrés du sentiment de cette décadence, la proclament et l'acceptent comme un fait nécessaire et une inexorable fatalité; tout comme les prêtres d'une religion qui s'éteint,subissent, en dévorant leurs larmes, la désertion de leurs autels et de leurs dieux. N'a- vons-nous pas vu récemment tomber de la plume auguste qui écrivit les Méditations , l'arrêt de mort définitif de la poésie el des vers?Oui, celte sentence, je dirais presque ce blas- phème, a été proféré par celui dont la seule et vraie gloire durable sera dans ces vers immortels que nous légua sa jeu- nesse, et que rien dans sa vie n'a égalé depuis, quoi qu'il en pense et dise. Dans ses Entretiens littéraires, tome I er , n° 4, M. de Lamartine déclare « que la poésie, ou du moins la langue poétique, a fait son temps, et qu'elle ne sied plus à l'état intellectuel du monde moderne. La prose est une pos- session de l'avenir, c'est la véritable langue des civilisations avancées, la seule sérieuse, la seule digne du progrès du monde. Les formes rhylhmiques sont usées el puériles ; elles ne conviennent qu'aux peuples primitifs et neufs qui ne peuvent séparer la musique de la poésie, et qui ne sentent point l'une sans le concours de l'autre. » Voilà , en substance, ce que dit M. de Lamartine. 10