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 146                      DE LA POÉSIE.

       Nous examinerons si celte condamnation, partie du sanc-
   tuaire lui-même, est sans appel, et si les destinées du vers
   sont irrévocablement accomplies. Mais avant de nous livrer à
   cette appréciation, il importe, après avoir bien constaté
   l'existence du fait, d'en étudier rapidement les causes et les
   origines, et de faire remonter à qui de droit la responsabi-
   lité d'une décadence que nous déplorons.
      Ces causes sont d'une nature complexe et multiple. Au
   premier rang, et sans conteste, se placent la prépondérance
  excessive et croissante du culte des intérêts matériels; l'en-
   vahissement exclusif et absolu de l'esprit des affaires; la pré-
  dominance progressive du matérialisme *dans toutes les
  classes ; l'érection en principe de ce qu'on est convenu d'ap-
  peler le positivisme, néologisme qui exprime parfaitement la
   pensée de tous.
      Pour que les émanations poétiques soient perceptibles aux
  foules, il faut qu'il y ait chez elles une sorte de prédisposition
  latente, une faculté d'assimilation qui puisse facilement les
  identifier à la substance poétique.
      C'est précisément ce qui n'existe plus aujourd'hui. La glo-
  rification de l'activité matérielle, l'apothéose démesurée de
 l'industrie, la puissance brutale et despotique des chiffres,
 ont étouffé, sous leurs cendres successives et accumulées, la
 flamme sacrée de l'idéal, dont chacun porte une parcelle en
 soi ; Divinœ parlictdam aura?. Le souffle poétique, qui fut si
 bien appelé le mens divinior, a cessé de vivifier l'atmosphère
 des groupes humains.
      L'entraînement est nécessaire aux masses, aussi bien dans
 l'ordre intellectuel que dans l'ordre physique. Quand cet en-
 traînement leur a fait défaut, elles cessent de se trouver aptes
à la vie de l'esprit, tout comme l'athlète ou le gymnaste
cessent de l'être au pugilat ou à la course, après un repos
trop prolongé. Le goût de la vie intellectuelle est profondé-