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DE LA POÉSIE. 143 n'eussent jamais eu la revanche d'une gloire tardive, en échange de leur mort misérable, sans un concours de cir- constances exceptionnellement heureuses. Le public, il est vrai, garde encore a son service, pour se justifier, cet autre paradoxe, niais, banal, irritant, et qui se répète à satiété. Le voici : « Après Victoi Hugo, Lamartine « et Musset, il est impossible en France de faire des vers; « ils ont tué la poule aux œufs d'or des poètes, et nul ne » sera.lu après eux. C'est pour cela que nous les lisons, eux, « mais les autres, non. » Plaisante raison, par ma foi ! autant dire qu'on ne peut plus faire de tableaux après Paul Delaroche, de statues après Pradier, de monuments après Lassus et Vi-ollel-Leduc, d'o- péras après Halévy. La vérité est qu'on ne lit pas plus main- tenant les grands que les petits. La réprobatiou qui pèse sur cette pauvre poésie, gagne aussi de proche en proche les hautes régions des gloires faites et consacrées; elles se trouvent fatalement atteintes par l'irrévérence et la contagion générales. Le sens poétique, disons-le bien, a presque entièrement disparu dans les masses; non seulement on ne lit plus les vers, mais on ne sait plus les lire ; on a perdu la conscience et la perception du rhylhme, du nombre, de la cadence et de la mesure. On mutile, on profane, en les lisant, les plus ad- mirables hémistiches. Je veux citer de ce fait un exemple bien sensible et parfaitement authentique, dont je fus moi- môme le témoin il y a deux ans. Dans une très-grande ville de France, on donnait une re- présentation mixte, composée de plusieurs-fragments d'o- péras, de comédies et de drames. Parmi ces derniers figurait l'admirable quatrième acle d'Hernani, contenant le mono- logue sublime de Charles Quint au tombeau de Charlemagne. Cette fête théâtrale était rehaussée par le concours du grand