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872 BIBLIOGRAPHIE. gues romanes sont-elles une corruption de la langue de Cicé- ron, corruption déterminée par les invasions germaniques, ou bien sont-elles, comme le dialecte sarde, sorties immédiate- ment des patois latins?... Selon M. Boullier « foules en sont « sorties, sans secousses, progressivement, el, à vrai dire, « elles ne sont que le prolongement, la continuation de ces « patois, lesquels s'étaient modifiés plus rapidement que le « latin littéraire, sous l'influence de causes plus énergiques, « et s'étaient déjà radicalement transformés lorsque celui-ci « conservait encore comme langue écrite une apparence de « fixité et de vie. » Du dialecte sarde aux chants populaires de la Sardaigne, quelle que soit la différence des sujets, la transition est natu- relle. Car si l'un nous montre la langue telle que l'instinct la crée avant que les littérateurs ne la lisent et que les gram- mairiens ne la règlent ou ne la déforment, les autres nous font voir la poésie sous sa première forme et dans sa première fleur, telle qu'elle jaillit d'urnes incultes et ardentes avant que l'art ne l'épure ou ne la refroidisse. La langue et la poé- sie sont les deux manifestations à la fois les plus spontanées, les plus intimes el les plus complètes de la nature d'un peuple. La traduction d'un très-grand nombre de chants populaires sardes forme la seconde pariie du livre de M. Boullier. Doué d'une imagination aussi vive que brillante, i! sait au besoin joindre à la science laborieuse du bénédictin les plus at- trayantes fleurs de la poésie. Il a compris que la partie phi- lologique de son ouvrage ne s'adressait pas aux mêmes lec- teurs que la partie littéraire ; mais il a pensé « que ceux qui « reprocheraient à la première d'être trop aride le venge- « raient de ceux qui trouveraient la seconde trop frivole, el « c'est ce qui l'a engagé à les réunir. » Nous voudrions pouvoir citer tous les passages remarqua- bles de celte seconde pariie du livre de M. Boullier. Rien de plus touchant que ces chants d'amour, ces scènes de la vie pastorale vraie; partout on y trouve l'empreinte de la poésie la plus gracieuse et la plus originale. Ajoutons que le com- mentaire,tout semé de réflexions fines et d'anecdotes piquan- tes, est un tableau complet de la vie sarde,agréable à lire et attachant comme un roman de mœurs. L'auteur a donné pour épigraphe à son livre ces mois d'un grand conquérant : Feni, vidi. (Je suis venu, j'ai vu.) Sa modestie ne lui a pas permis d'ajouter comme César « J'ai vaincu »; mais tous ceux qui auront lu ce remarquable o u - vrage ne pourront s'empêcher de prédire à M. Boullier le plus grand et le plus légitime succès, A. COSTE.