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158                     DE tA POÉSIE.
réapprendra pas. La poésie doit se plier aux nécessités que
j'indique, ou mourir définitivement. L'idéal est partout,
même dans une locomotive ou un rouage d'usine. Il ne s'agit
que de savoir le mettre en œuvre, dégager l'or du lingot,
et tailler le diamant. Là est la tâche, là le secret. Les essais
faits jusqu'à ce jour n'ont pas eu un plein snccès, j'en con-
 viens, il n'y a pas eu d'or sans alliage. Mais il viendra un
homme qui aura justement le don et le secret de saisir à
point la relation nécessaire qui existe entre la matière et
 l'idéal, l'infini : il verra clair dans le nœud qui les unit, et
ce jour-là, la poésie moderne sera créée, la révolution sera
faite. Une période triomphante et prospère sera alors inau-
gurée pour la Muse.
     Mais jusque-là, veillons et prions. Disons bien haut aux
vrais poètes : Sursûm corda ! Que le découragement ne
les gagne point; qu'ils continuent à combattre dans la lice,
 malgré les mépris et l'oubli du public, en attendant l'aurore
 des jours meilleurs. Qu'ils soient les prêtres de l'idéal, même
 sans espoir de récompense, dans le silence et l'obscurité. Il
 n'est pas de mission plus noble et plus belle que celle-là ;
 les jouissances même ignorées qu'elle procure sont un salaire
 suffisant pour les grandes âmes. Oui, de même que les prê-
 tres des temps impies entretiennent, malgré leur douleur,
 dans les temples déserts, la lampe sacrée pour qu'elle ne
 s'éteigne jamais, qu'eux aussi, les lévites de la Muse, veil-
 lent sur son saint flambeau pour en conserver la flamme
 intacte , juqu'au jour où la poésie, secouant son linceul,
 redeviendra l'enchanteresse des générations éblouies.

                                Maurice   SIMONNET.